[CLOS] Un spectateur pas comme les autres - FT Mugen

Yume était arrivé en ville quelques heures plus tôt, le soleil venait tout juste de se lever, il en avait donc profité pour aller détendre ses muscles endoloris par ce long voyage, dans les sources chaudes de l'on sen Kawaguchi. Chaque fois qu'il se baignait dans ces bains, cela lui rappelait le jeune sakura, Takagi Genmei avec qui il avait pris un bain il y a de cela quelques mois. Il avait bien rigolé ce jour-là!

Quand il sortit de l'onsen, le soleil était bien haut dans le ciel. Il était temps pour lui de gagner son pain. Il se dirigea donc vers une place marchande de la ville. Le Yokai sortit de son baluchon un petit zabuton, qu'il déplia avant le poser au sol devant lui. Il prit place sur le coussin, puis sortit le grand instrument de son boitier protecteur.

Une fois le koto bien placé sur ses genoux, Yume s'affaira à l'accorder. Quelques passants s'arrêtaient intrigués, d'autres ne jetaient qu'un petit coup d'œil avant de reprendre leur route, mais plongé dans ce qu'il faisait, le Yokai n'y prêtait pas vraiment attention. Les spectateurs arriveraient en temps et en heure.

Une fois ses préparation terminé, le baku plaça devant lui son baluchon ouvert, pour que ceux qui le voulaient puissent déposer quelques pièces. Puis, il posa ses doigts fin sur les cordes et commença a les tirer une par une. En l'honneur du territoire sur lequel il se trouvait, il décida de commencer par la musique de recueil Sakura, célébrant l'éclosion des fleurs de cerisier.

Une fois qu'il eut termina la musique il éloigna ses mains du koto, laissant son public applaudir quelques seconde, certains avait même déposé quelques pièces. L'air pensif Yume se demandait ce qu'il devrait bien jouer ensuite, lorsqu'un homme s'approcha de lui...

Happés par les cordes frottées, badauds et curieux s’étaient rassemblés autour du musicien dont l’attention n’avait point quitté son instrument… Jusqu’à la fin. La petite foule en émoi exprima son plaisir de vive voix, ou frappant l’une contre l’autre leurs mains enjouées du plaisir procuré par l’interprète itinérant. Certains, au comble de la reconnaissance propre aux amants des grâces artistiques du cerisier, versèrent de substantielles oboles sur l’étoffe même qui permettait au virtuose de promener ses maigres possessions et étirée à cet effet.

Les dou s’amoncelaient en grand nombre, témoins de cuivre du succès que le morceau avait occasionné, mais ça et là, aussi, quelques jolis gin d’argent se trouvaient, issus des bourses les plus opulentes parmi ce public mesuré. Sakura était reconnaissant envers qui savait flatter ses sens et le matérialisme de la monnaie paraissait à nombre des disciples de Uzume un bien maigre tribut en compensation d’une poignée de minutes d’émerveillement.

Chacun se saluèrent, approuvant le geste sincère de son voisin, se targuant entre eux d’être autant de mécènes anonymes de l’instrumentiste voyageur. Entre les flâneurs, oisifs et musards amateurs de belles notes passa sans heurts l’adulte de bonne taille dont les crins flottaient au gré de ses souples mouvements. Borgne brun aux atours flambants, d’un carmin tout camélia sur lequel la fleur du Kami de la Gaieté trônait pourtant, glissant sans que l’on ne le remarque vraiment pour arrêter sa course délicate face à la toile tendue.

De ses longs doigts fin et cassant sa hauteur afin d’éviter une chute bruyante à sa propre participation au remerciement général, il laissa tomber l’or d’un kin et marqua ses traits d’un sourire chaleureux et tributaire. Ainsi au sommet des quelques piécettes trônait l’équivalent en métal d’une centaine de kilos de riz, sans que l’effort ne se peigne sur la douceur de l’expression de l’évident bretteur, un fastueux daisho élégamment noué à son obi.

Discrets étaient ses héraldiques personnelles, mais on devinait aisément qu’il fut membre de la cour, le kamon du clan frappé dans son dos, chatoyant du même ton que l’offrande dispensée. Au regard aiguisé et au connaisseur, l’emblème des Sesui, honorable, mais néanmoins humble famille martiale, brillait sur les poignées de ses manches. Lui se redressa avant de s’incliner derechef en face du bohème, le masque emprunt de gratitude et sa toison coulant sur ses épaules comme si chacun de ses cheveux était fait de soie.

Domo arigato gozaimasu… Chanta la voix qui perla au dehors des lèvres du bushi du son d’une rivière à la faveur d’un rayon de Soleil estival.

Mais l’instant était passé et la lueur d’intérêt, tison ardent embrasant le fond de son unique prunelle visible, se tarit sans véritablement disparaître pour autant. Fluide, le samouraï se releva une dernière fois et s’apprêtait à se retirer d’un pas léger quand le troisième d’entre eux qui allait le mêler à la foule le stoppa net. Retournant sa pupille en direction du troubadour, un fin sourcil arqué de curiosité, il demanda d’un souffle suave :

Tout le monde ici le connaît peut-être et suis-je probablement le dernier sot à n’être point au courant… Mais pourriez vous m’indiquer votre nom, Kotojin-sama ? Et par le plus précieux des hasard… Allez-vous procéder à une nouvelle interprétation sous peu ?

L’attention acérée, son regard barré de moitié brûlait d’un feu ravivé.

La personne avait une voix douce, presque chantante, Yume eut un instant la pensée que cette voix serait encore plus belle si elle chantait, mais secouant doucement la tête, il tourna son attention vers son interlocuteur. Il était jeune, peut-être la trentaine, mais le détail qui devait surement attirer bien des regards, était le cache-œil qu'il portait. Certains auraient pu être déçus ou bien tristes se voit cet homme à qui il manquait un œil, mais le Yokai pouvait voir beaucoup de vie émaner de sa prunelle encore intacte.

- Je suis heureux que vous ayez apprécié cet air, donc ce serait plutôt a moi de vous remercier.

Un sourire enjoué vint orner ses lèvres, alors qu'il caressait doucement les cordes de son instrument. Il était toujours heureux de voir que sa musique attirait toujours autant de monde. Grâce à elle il se sentait connecté à toutes les personnes présentes.

- Je me somme Seinaru Yume, puis-je connaitre le nom de celui qui a eu la bonté de venir me parler?

En attendant sa réponse, le Yokai jeta un coup d'œil à ce que son public lui avait donné et il y avait vraiment beaucoup d'argent, pour ce qu'il en faisant. Son humeur d'autant plus bonne il répondit une nouvelle fois à son interlocuteur d'un ton un peu plus enjoué. Le moins qu'il pouvait faire pour remercier son public était de lui offrir une nouvelle prestation, encore meilleur que la précédant de préférence.

- Bien entendu je ne compte pas m'arrêter de jouer, j'ai un si bon publique après tout! Et je me demandais si vous vouliez bien m'aider a choisir un morceau Osamurai-sama. Avez -vous des préférences en termes de musiques ou bien un air qui vous tien a cœur?

Il ne savait pas ce qui lui avait pris de demander cela a son interlocuteur, la Yokai avait plutôt pour habitude de jouer des airs qui représentaient son humeur ou ses ressentis du moment, mais aujourd'hui il avait fait une exception pour le jeune homme devant lui. Peut-être avait-il fait ça par curiosité, ou bien était-ce peut être le feu qui brulait dans son unique prunelle qui l'avait attiré....

Inclinant ses traits sur le côté en bête curieuse, l’attention visiblement offerte à son interlocuteur, Mugen s’accroupi, défaisant ainsi toute hauteur qu’il aurait pu avoir sur celui qui lui confiait son plaisir de se savoir entendu. Si brisée auraient pu être la frontière des castes les séparant, les fourreaux des attributs du samouraï toquèrent au sol, rappelant qu’ils incarnaient chacun les opposés les plus absolus d’un spectre social extrêmement ancré dans la culture Kōgotenjin.

Pourtant ce fait établi et évident ne changea rien de l’attitude du duelliste, que l’écho de ses armes au sol ne fit pas même frémir. Il sourit alors, répondant probablement et silencieusement à l’aveu qui venait de lui être fait ou bien à l’expression sœur que l’artiste venait de lui offrir. La présentation succincte que lui fit ce-dernier reçut sans attendre sa rétorque et de sa position basse, le cadet des Seisui inclina modérément le chef, laissant glisser une vaste moitié de sa toison jais de soie dans le mouvement.

Mugen, des Seisui de Aizome.

Déclama-t-il sobrement et du doux ténor de sa voix, concédant à la requête qui venait de lui être faite, l’honneur sous-jacent provoquant autour de lui quelques hoquets de surprise du public. Saltimbanques et bushi n’échangeaient aucun mot, pas même de regard, ce qui se produisait en ces lieux sortait littéralement du domaine du possible. Mais les deux acteurs de cette humble pièce n’apparaissaient pas même en tenir compte. Tant et si bien que le prénommé Yume reprit la parole comme si de rien n’était, sans que la situation ne lui semble exceptionnelle.

Et si l’étonnement aurait pu s’imprimer sur le masque du Sakura, ce ne fut guère le cas, accueillant de toute évidence la question du choix du morceau avec une considération visible. Le bretteur leva sa prunelle vers les cieux tout en prenant son menton entre les doigts de sa main gauche, paraissant sincèrement songer à déterminer du style musical comme cela venait de lui être proposé. Néanmoins, il ne tarda pas à sortir de ses pensées, ramenant ses mains sur ses genoux pliés avant d’annoncer du cristallin d’eau courant que prenait naturellement son ton :

Je dois vous présenter mes excuses pour cela, mais je n’en ferai rien. Vous m’eûtes ferré de vos notes au hasard de ma venue et j’apprécie avoir découvert votre talent par la voie imposée par la destinée.

Ses lèvres s’étirèrent, l’espièglerie venant se mêler à la délicate politesse dont il faisait usage.

Il ne serait rien qui me ferait plus plaisir que vous parveniez à me surprendre de nouveau. Faites au son du sentiment qui vous anime.

Conclut-il finalement sans quitter ni position, ni expression.

Son prénom était donc Mugen des Seisui, ce nom ne lui était pas inconnu, et il lui semblait avoir déjà entendu parler de lui quelque part. Surement durant l'un de ses voyages sûrement sur le territoire des Sakura. Mais en tout cas, d'après la réaction du public, il devait en effet être une personnalité connue dans les environs.

Dans toute manière, peut importer à Yume qui il était, le yokai était tout simplement heureux que le jeune homme appréciait sa musique.

Au départ, il voulait faire une faveur à cet aimable samurai qui était venu lui parler, en lui jouant une pièce qu'il aimait. Mais voyant qu'il préférait que ce soit lui qui choisisse, le yokai réfléchit. Après une courte réflexion, le baku sut ce qu'il allait jouer. D'un signe de tête, il fit comprendre à son interlocuteur, qu'il s'était décidé et qu'il allait commencer.

Yume avait opté pour une pièce de sa composition qu'il avait nommée Shiawasena tabi, un voyage heureux. Le baku posa alors encore une fois ses doigts fins sur les cordes de l'instrument avant de commencer à les pincer, les tirer ou bien encore les presser. S'éleva alors dans les airs une mélodie, tantôt entrainante et pleine de joie, tantôt plus calme et mélancolique. En jouant, Yume se remémora ses années à voyager dans tout le pays, les rencontres qu'il avait faite, les personnes pour qui il avait joué, et tous ses souvenirs suffisaient à lui donner du baume au cœur, a lui faire ressentir de la joie, mais avec tout de même une pointe de tristesse en sachant que tout ces moments appartenaient aux passer. En jouant cette mélodie, il espérait à faire passer ses sentiments et ce qu'il ressentait a son public.

Alors que la dernière note résonnait, Yume ouvrit les yeux qu'il avait fermer pour mieux ressentir ce qui se passait autour de lui et pour savourer la sensation de ses doigts sur les cordes rigides de l'instrument. Une fois ses mains écartées, un petit sourire espiègle vint orner ses lèvres, il releva vers la tète pour diriger son regard vers le jeune Seisui.

- Alors qu'en avez-vous pensé? J'espère m'être montrer a la hauteur de vos attente et avoir réussi a une nouvelle fois vous surprendre...

Lorsque le musicien ferma son regard de ses paupières, le duelliste en fit autant de son seul œil valide. Ce fut instantané, immédiat, le bretteur souhaitant probablement ressentir le morceau tel qu’il avait été conçu par son créateur. Tandis que les doigts du voyageur dansaient sur les cordes, le sakura persistait dans son immobilisme… Ou du moins était-ce le cas si l’on n’y prêtait que peu d’attention. À ceux qui auraient l’expertise du détail, il aurait semblé ondoyer légèrement, roseau pris dans la brise qu’un rien aurait pu faire ployer, mais qu’il aurait été impossible de voir rompre. Les lèvres du bushi parurent s’arquer de joie aux tons les plus chaleureux et se serrer lorsque l’humeur de la mélodie virait à la douce amertume d’un regret passé. Et bientôt, le récital connut sa fin, l’artiste recouvrant sa vue aussitôt, suivi de près par son auditeur attentif. Au sourire offert, Mugen en rendit un pair, identique et emprunt d’une bienveillance usuelle. Lorsque leurs prunelles se croisèrent et que la question de l’auteur fut posée, le samouraï ne se fit pas prier pour répondre de la mélodie délicate de sa voix :

Sans aucun doute, Seinaru-san. Il n’était nulle véritable attente de ma part qui aurait pu distiller son vil poison de frustration potentielle et malgré cela, vous avez su une nouvelle fois émerveiller l’un de mes sens.

Alors le cadet des Seisui leva son iris vers la vaste nappe que les cieux offraient, sa main directrice rejoignant son menton dont elle épousa les angles en une réflexion évidente ou jouée.

Ce que j’en ai pensé, mmh ? Rétorqua le borgne à ses admirations célestes avant de poursuivre sans marquer de changement dans sa posture pensive :

J’ai vu des monts, des plaines, des plages sablonneuses ou de galets, des hivers rigoureux et d’aimables printemps. J’ai vu des êtres féminins, d’autres masculins, des fluides aussi, des amis, des amants, des adversaires tenaces, des visages oubliés et des connaissances à venir…

Il baissa le carmin de son œil sur l’interprète qu’il ne toisa que de douceur. Ses doigts de penseur retombant sur sa hanche, il inclina le chef jusqu’à ce que coule sur son flanc la cascade de jais de sa lisse toison.

À l’occasion, venez jouer à la cour de Kanzen, je serai enchanté d’entendre de nouveau vos airs et surtout, de goûter aux variations que la vie aura inspirée à votre œuvre. Je suis très certain que les Ouka apprécieront votre talent.

Il marqua une pause, selon toute vraisemblance pour permettre à ses dents de se révéler en un radieux sourire.

Mangez vous, Seinaru-san ? Mon humble obole était dédiée à votre précédente partie… Et me voici bien ennuyé de ne point avoir de quoi gracier votre prestation de façon au moins égale. Mais j’ai le plaisir de connaître quelques adresses qui tenteraient le plus repus des vivants.

Cela ressemblait à une invitation, l’expectative affichée du membre des cerisiers allant parfaitement dans ce sens en tous les cas.