[CLOS] Quand vient la douceur de l'été, le coeur froid rit aussi [Takahashi Ishigo]

La nuit noire recouvrait entièrement les hauteurs du sanctuaire d’Omoikane quand la silhouette de la Seikai Guji se découpa dans la lueur du shoji principal. Les pics éternellement enneigés des montagnes alentour dissimulaient entièrement les derniers rayons de soleil, aspirés par la grandeur de cette forteresse naturelle. Une lune éclatante trônait à la place de l’astre de jour, unique reine parmi la cour d’étoiles brillantes qui tachetait la toile céleste obscure. Les sons d’une nature estivale et vivante dormaient paisiblement dans l’attente de la prochaine aube, alors que la brise légère et fraîche révélait d’autres présences. Le chant d’un insecte insomniaque par ici, le croassement d’une grenouille enfin libre de sortir par là. Et au loin, parmi la frondaison recouvrant les versants rocheux, le hululement d’une chouette solitaire.

Un froissement de tissu vint s’ajouter à cette symphonie tardive. Empruntant le chemin que quelques lanternes préservaient d’une noirceur absolue, Shiori avança jusqu’à rejoindre le sandō sur lequel ses pas, bien que fluides, résonnèrent dans le silence fragile. Face à elle, l’imposante ombre du torii semblait se projeter jusqu’au firmament, étirée par la clarté lunaire. Et entre ses piliers rouges que ce même éclat laissait deviner, le contour d’un corps se dessinait nettement. A son approche, il se retourna et s’inclina, tirant un fin sourire à la prêtresse qui s’arrêta à ses côtés.

“ Quelle solennité de la part de mon ami. ” le taquina-t-elle, amusée par cette courtoisie qu’il gardait habituellement pour les moments en présence d’autrui. Elle posa une main sur son épaule alors qu’il se redressait et lui offrit un regard empli de tendresse et de joie. La blancheur de son habit de cérémonie contrastait avec l’ébène de ses cheveux coiffés et serrés au-dessus de sa nuque, mais qu’une broche de perles immaculées venait éclairer. Sa peau laiteuse, elle, s’y accordait parfaitement, lui donnant au creux de la nuit, un aspect spectral.

L’écho d’une marche rapide se joint à l’intimité du duo et attira l’attention de Shiori. Dans la pénombre, les traits de la maiko se précisèrent à mesure qu’elle se hâtait de les rejoindre, les mains chargées des dernières plaquettes de bois. “ Il est temps d’y aller. ” souffla simplement la religieuse aux yeux lilas, se détournant pour s’engager sur la première marche de l’immense escalier sacré. La descente fut bien plus rapide que l’ascension, quoi que parfois interrompue par l’inquiétude de la maîtresse de cérémonie pour sa suivante qui devait composer avec son chargement. Le bruit des festivités s’élevait progressivement à mesure de leur approche avant de les engloutir complètement, au détour d’une rue. Rejoindre la place principale ne fut pas une mince affaire tant les enfants couraient en tous sens et les familles se pressaient pour se rassembler en vue du repas partagé. Instinctivement, un large sourire se dessina sur les lèvres roses de la Seikai Guji. Ses prunelles pétillaient de bienveillance et de satisfaction alors qu’elle traversait les festivaliers heureux. La sagesse et la retenue propres au peuple Renge les empêchaient sans doute de laisser éclater leur excitation comme d’autres clans le feraient, mais il suffisait de déchiffrer les mines réjouies et les yeux lumineux pour comprendre les bienfaits d’un tel évènement.

“ Je vous remercie tous pour votre présence ici ce soir et pour votre investissement tout au long de la journée. Il est grand temps de profiter d’un dîner mérité ! ”

La voix profonde de la haute-prêtresse s’éleva par-dessus le silence total qu’avait provoqué son arrivée et son installation au bout de la longue table. Du coin de l'œil, elle s’enquit de la proximité d’Ishigo et inspira doucement, avant de débuter les prières nécessaires. Officier une cérémonie à ciel ouvert donnait une dimension particulière aux paroles qu’elle prononçait, aux mots qui lui étaient répondus et qui s’envolaient parmi la brise estivale. L'enthousiasme de ses pairs rayonnait autant que les lanternes autour d’eux et elle en fut émue.

“ Tout se passe à merveille. Il n’y a aucun incident à déplorer pour le moment. Tu vois ? ” Elle s’était penchée vers son yojimbo qui siégeait à sa droite et lui désignait d’un geste rapide, le repas qui se déroulait sans encombre. “ Il sera bientôt l’heure de récolter les vœux, la fin approche. Dois-tu faire un tour de surveillance avant ?” s’enquit-elle sans inquiétude, tout en grignotant du bout des doigts des edamame.