Tsubaki: Qui veut la paix prépare les machines de guerre

L'expérience de défendre pendant des jours durant leur village natal n'avait rien été d'une partie de plaisir pour les soeurs ; et pourtant, les voilà - accompagnant leur seigneur Daimiyo en campagne après l'avoir hébergé dans leur humble domaine frontalier pendant quelques jours, le temps qu'il se remette d'avoir utilisé sa bénédiction pour libérer Migotobuki des griffes de son anonyme envahisseur. Il faut croire que pour Homura et Hibana, s'arrêter en si bon chemin après cette victoire tant attendue n'était pas de leur goût ; au contraire, il en fallait plus pour satisfaire la soif de combat de ces deux jeunes et fougueuses guerrières.

C'était même un honneur pour elles que d'être conviées à suivre leur seigneur, même pour une mission aussi floue qu'elle semblait importante. Sécuriser la Frontière des Lance, certes, mais contre qui se battait-on? L'agresseur mystérieux de Migotobuki... Qui était derrière tout ça? Bien que cette question rongeait l'âme de Homura, ce qui lui importait, c'était de mettre son génie au service de la grandeur de Tsubaki.

On lui avait installé une tente non loin du commandement. Mais une tente, dans un avant-poste Tsubaki à la frontière, ce n'était pas sa forge. Homura se sentait limitée, son génie entravé. Elle ne pouvait pour l'instant que jeter des plans sur du papier. Ses mains étaient couvertes de charbon de bois dont elle se servait pour dessiner et réfléchir. Des armes, des machines. Son seigneur avait vu - enfin, constaté plutôt que vu à proprement parler - l'efficacité de ses inventions et cela valut à la Dame de la Forge le plus grand des honneurs. Se voir financer une partie de ses projets, pour peu qu'ils contribuent à la prospérité du clan. C'était là la plus grande partie de la raison qui poussa les soeurs à s'engager dans cette campagne. On ne refuse pas une offre pareille.

Hibana entra sous la tente. Elle était en sueur, revenant d'un dernier entraînement avec ses hommes avant la tombée de la nuit. A la voir couverte de feuilles d'arbres, c'était encore une épreuve de survie - à se demander où les archers de Migotobuki trouvaient la force de suivre leur jeune capitaine dans ces purges qu'elle leur imposait.

"Tu es encore là-dessus?" Lui demanda-t-elle, déposant son matériel dans un coin de la tente et ouvrant le haut de son uniforme pour laisser le haut de son corps étouffé prendre un peu de répit. Sentir la vieille socque ne dérangeait apparemment pas la jeune Hibana - elle répondrait si on lui posait la question que c'est l'odeur du guerrier bien entraîné.

"Je n'arrive pas à imaginer comment je pourrais rendre cela plus facile à produire."

"Les finances ne devraient plus te poser de souci pourtant, n'est-ce pas? Tu n'as plus besoin de penser économies."

"Ah mais là n'est pas le problème. Ce n'est pas l'argent qui me manque. C'est le bois. Nos réserves s'amenuisent et avec mes plans actuels, construire plus d'Ishiyumi pour l'armée de Tetsuko-sama serait une vraie folie logistique. Comment vais-je annoncer cela à notre seigneur?"

"Hum... Et les ravitaillements? Il y a bien plusieurs routes pour les convoyeurs de bois, non?"

"Pas de nouvelles à ce que je sache. Donc le bois nous fait défaut sans eux. C'est d'ailleurs bien pour ça qu'on est là."

Hibana s'étira longuement pour soulager ses muscles.

"En même temps, pas étonnant que personne n'ose emprunter ces routes. Avec ces bandits qui rôdent encore... J'aurais tellement aimé les attraper après ce qu'ils ont fait à Migotobuki."

"Je partage ton sentiment, mais je me console en me rappelant que notre Daimiyo les a renvoyés chez leurs parents d'une façon mémorable."

Hibana éclata de rire, et ne put qu'approuver les dires de sa soeur. Cela avait été une bataille mémorable dans leurs esprits - bien qu'une simple escarmouche à l'échelle du clan Tsubaki.

"Qu'ils reviennent! Je les attends. Ils vont goûter à l'entraînement spécial façon Fuhenbi Hibana!"

Qui veut la paix prépare les machines de guerre
♫ P'tite ambiance ♪

Triste était l’histoire de Yari no kyōkai, la frontière des lances, périlleuse était sa fonction, sur le plan politique. Successions d’avants postes, reliables entre eux en une poignée d’heures à peine à pieds, trois fois moins que cela monté sur destrier. Chacun était géré par un jotohei de métier, expérimenté et secondé par un bureau administratif rattaché aux bons soins du Sekke du Camélia. Son rôle était devenu celui de douane frontalière immense, mais son aspect n’avait en aucun cas changé depuis sa conception et les conflits qui l’avaient engendrée : barricades, vigies, remparts en façonnant la structure inégalée occupant majoritairement la légion sous la tutelle de Sakiyuki Modoru, Chūjō de Kaisou-tochi.

Depuis quelques mois, les cheveux lui étaient tombés du crâne, si bien qu’il arborait non plus sa glorieuse coiffure chonmage… Son domaine avait été violé, à plusieurs reprises, d’un envahisseur qui avait poussé l’héritier de Hachiman à se présenter en personne afin de juguler ce fléau. Celui-là même qui avait choisi de prendre la tête de ses hommes, le reléguant ce jour non plus au rang de serviteur, mais à celui de simple consultant. Le vétéran n’était pas aigre de la situation : il avait failli et considérait son honneur comme bafoué. Mais à la demande de seppuku qu’il avait opéré, on lui avait essuyé un refus catégorique : ses connaissances et son savoir devaient être préservés pour ce qui suivrait. Le consensus suivant avait été établi : une fois que le théâtre d’opération projeté par le Daimyo serait aussi fonctionnel qu’attendu, il pourrait déposer les armes et rejoindre la caste spirituelle en tant que bonze sans que tâche ne soit portée à son nom.

L’officier se frotta ce crâne devenu lisse avec embarras, les plaques de son armure ō-yoroi grinçant entre elles. Car malgré tout ceci, on le trouva aux côtés du descendant de Tetsuko, en lieu et place de son célèbre Shichizen que l’on imaginait bien affairé en ces heures sombres.

Derrière eux, la totalité des combattants autrefois sous ses ordres se tenaient auprès de la moitié de l’armée de la province de Shukun. Une force de près de cinquante mille têtes, déployée le long d’une frontière terrestre longue de plus d’une trentaine de kilomètres et complétée d’une partie non négligeable de la flotte Tsubaki. On racontait qu’il en avait été fait autant du côté de Gekijou où toute la puissance des guerriers de la capitale s’étaient déployées le long de la limite des terres du clan et de celui des Sakura. Tsubaki était en état de guerre totale après avoir été souillé par deux fois.

Les tractations avec leurs voisins étaient allées bon train, promettant qu’il ne s’agissait pas là de menace quelconque, mais bel et bien d’un statut de défense. On pouvait aussi y lire la prévention des mots même de Kazuo contre ces ennemis qui avaient osé marcher sur la queue du Tigre et du danger que représentaient les fuyards de leur faction en déroute. Mais tout ceci appartenait au passé. Le seigneur du Nord parcourait dorénavant à grands pas sourds l’un des nombreux campements consolidant l'efficiente ligne de protection de l’Ouest de son territoire, son objectif s’avérant être une tente parmi celles de la division issue de Migotobuki.

Les ashigaru postés au devant de celle-ci s’inclinèrent, la politesse leur étant retournée par le titan qui avait bataillé à leurs côtés, vingt-sept semaines auparavant. Des échanges des deux jotohei de la bourgade-forge, il n’en surpris que la fin tandis que les pans de toiles étaient écartés sur son passage.

Le bois des Renge est devenu sacré.

Déclama-t-il simplement, sans avoir à s'étaler outre mesure et du fracas de tonnerre que sa voix pouvait prendre. Que ce fut pour l’occasion de ces retrouvailles ou du fait de l’efficacité qu’elle lui offrait, le descendant du Kami protecteur du peuple portait la même carapace d’alliage de métaux et de tissus que lors de sa venue au sein de leur village. Son casque sous l’épaule droite, il leur sourit chaleureusement, une partie de ses dents s’en trouvant révélées.

Fuhenbi-no-shimai. Cela fait longtemps. Reprit-il avec prévenance, mais il ne perdit pas non plus de temps et sans que cela n’affecte son expression aimable à leur égard, il poursuivit en s’approchant d’elles :

C’est bien pour cela que vous êtes là, oui. Le bois nous manque. Nos propres réserves ne peuvent plus qu’être utilisées à l’entretien des flottes armées et de pêche, ainsi qu’à celui des demeures de notre contrée. Nous ne pouvons plus penser à étendre l’une ou l’autre de ces priorités à présent, ni même accorder cette ressource devenue rare à ces outils de votre création.

Il s’assombrit quelque peu avant de reprendre :

L’hypothèse d’autres voies marchandes est caressée. Mais à l’heure actuelle, notre Sekke est débordé.e par la situation au cœur de nos frontières… Ce qui nous ramène à notre situation présente…

Kazuo s’inclina pour que son visage parvienne à hauteur des deux onna-bugeisha, la mine curieuse et la barbe de son menton prise dans sa main libre.

… Pas de bois, donc. Par quoi le remplacer ?

Une voix pénétrant dans leur tente fit se retourner les deux soeurs qui se figèrent sur place, entre le garde-à-vous et le "oh non on s'est faites avoir", tandis qu'elles saluèrent leur seigneur bien-aimé. Des deux, Hibana était la plus à prendre en pitié - elle tentait de cacher le fait qu'elle était rouge de honte de se retrouver les épaules dénudées et en sueur devant son Daimiyo. Heureusement, Homura lut dans la détresse de sa soeur et se présenta la première devant Tetsuko-sama, espérant ainsi reporter son attention sur elle tandis qu'Hibana se rhabillait convenablement. Elles s'inclinèrent respectueusement en réponse à sa salutation.

"Tetsuko-Sama! Cela faisait longtemps en effet... Depuis cette bataille à Migotobuki. Dans la situation actuelle, vous voir est un grand soulagement."

Elle jeta un discret coup d'oeil à sa soeur derrière elle, s'assurant qu'elle avait bien fini de remettre son uniforme de façon correcte.

"La situation est telle que vous la décrivez. Cela fait plusieurs jours que je tente de résoudre ce problème, mon seigneur. Ma soeur fait ce qu'elle peut avec les archers, mais de mon côté, les machines... J'ai beau retourner la question, mais..."

Elle pointa vaguement vers son établi où elle dessinait. Les plans froissés de nombreuses inventions y jonchaient le bureau et le sol... Ce n'était pas vraiment un spectacle à montrer à son Daimiyo, maintenant qu'elle y pensait.

"...Et bien peu importe ce à quoi je pense, il faut du bois. Il en faut pour le four, pour les structures, pour les munitions... à moins de construire des machines en pierre, je ne vois pas comment nous pourrions augmenter nos effectifs tout en réduisant nos besoins en bois."

Hibana parut soudain pensive.

"Hmm... Cela n'est peut-être pas si stupide... Mais à voir si c'est réalisable..."

"à quoi penses-tu?"

"Tu viens d'un village minier, et tu n'as pas la même idée que moi?"

Homura fit la moue, considéra la chose un instant. Ce qu'Hibana avait en tête, on ne l'avait pas encore entendu, et pourtant la plus grande des Fuhenbi semblait déjà se perdre dans des réflexions complexes. Pour s'assurer qu'elle ne s'engageait pas dans une voie sans issue, elle se tourna vers Kazuo.

"Tetsuko-Sama, qu'en pensez-vous?... Si nous faisions venir des sculpteurs des contrées alentours... Je pourrais peut-être faire quelque chose... Mais pensez-vous que cela en vaille la peine?"

Qui veut la paix prépare les machines de guerre

La curiosité de ses iris dorés passait d’une sœur à l’autre au rythme des annonces qui lui étaient servis ou de l’échange qu’elles pouvaient avoir entre elles. Son écoute intéressée n’était en aucun cas feinte, son éducation de seigneur et de guerrier n’aurait pu lui permettre de répondre à ses propres questions quand le sujet traitait de façonner armes ou défenses. La pénurie… Ou l’embargo… Dont Tsubaki souffrait était une plaie véritable face à laquelle Kazuo n’avait guère la moindre prise. L’économie, les propos d’argents, tout ceci était indigne de la caste des Samouraï et il ne pouvait que laisser ces thèmes à Akira. Mais la fonte du métal des sabres, les planches renforçant les flancs des flottes du clan… Si cette matière n’était pas forcément sur le devant de la scène des batailles, elle permettait au cuir des selle d’être fumée et tannée, à la forge de l’acier… Au développement militaire tout entier.

Se rendant compte qu’il avait décroché de la conversation en s’enfonçant dans les méandres de ses pensées retorses, le Daimyo rapporta derechef son attention sur les deux onna-bugeisha à l’instant même où la pierre fut exposée ironiquement comme remplaçante à l’élément qui leur faisait défaut. Cependant, alors qu’il eût débuté d’arquer la commissure de ses lèvres à l’écoute de cette plaisanterie, l’héritier des Tetsuko fut soudain choqué en comprenant aux expressions de ces interlocutrices que l’idée était réellement considérée. Les paupières grandes ouvertes, l’incarnation de Hachiman fut littéralement pris de court tandis que la plus grande d’entre elles s’adressa directement à lui. Se redressant de toute sa hauteur, les prunelles n’exprimant une fraction de seconde plus qu’une incompréhension totale, le titan resta coi.

Enfin il leva les yeux au plafond de la tente, se forçant à une réflexion qui sortait dangereusement de son domaine de connaissance. Puis il soupira, recouvrant une sérénité qui seyait bien mieux à son port altier.

Je ne puis rien penser à ce canevas qui puisse être de mon ressort. Souffla-t-il impérieusement, sans véritablement fixer ses subalternes, le regard errant. Pourtant celui ci retrouva les soeurs avant de poursuivre, plus clairement :

Faite à votre convenance. Les Légions sont déjà disposées comme je l’entends et le souhaite afin de pallier tous les dangers que mon esprit me permet d’imaginer et en considérant nos atouts et notre… Embarrassement actuel. Ce que vous pourrez apporter par votre ingéniosité ne pourra qu’être un avantage… Ou une perte de temps qui n’impactera pas le reste.

Kazuo haussa alors les épaules avant de sourire franchement et d’ajouter :

Il n’y a rien à perdre, donc, à vous laisser agir selon votre curiosité… Et tout à gagner. Et cela n’a guère besoin que le vieux soldat que je suis comprenne quoique ce soit à ce que vous envisagez.

Néanmoins et au moment de terminer d’exprimer son accord, l’or de ses iris tomba sur sa vis à vis la plus directe, puis il conclut, croisant les bras sur sa poitrine et non sans poser son vaste casque sur la surface la plus proche dans un claquement de métal :

Ceci étant dit… Je serai enchanté que vous tentiez de m’y faire voir plus clair. D’autant plus que vos sculpteurs ne seront pas ici dans l’heure.

Ainsi et intrigué se montra le Seigneur du Nord, par cette drôle d’idée qui venait de lui être mentionnée.

Homura considérait déjà toutes les options possibles avec la pierre. La pierre est un matériau certes lourd, et très peu maniable. Mais elle avait le mérite d'être aussi solide que la plupart des lames ennemies, et surtout, de ne nécessiter aucune source de chaleur pour la travailler ; donc, pas besoin d'allouer un budget en bois à son exploitation directe. Créer des structures en pierre requérait cependant un savoir très poussé. Il ne s'agissait pas de lier quatre planches et un tronc pour faire un socle. Il fallait savoir à l'avance comment creuser le minéral pour obtenir la forme désirée, et surtout, sans affaiblir sa solidité. Le moindre choc brutal sur un petit impact, et crac. Une fissure. Mais Hibana avait raison - c'était de loin la plus économique en bois des solutions à leur disposition. D'autant qu'il suffisait de se baisser pour la prendre, métaphoriquement. On exploite les forêt pour de nombreuses raisons, tant stratégiques qu'économiques. Qui pourrait bien s'intéresser aux carrières?

Hibana restait à fixer son seigneur de façon malaisée. Dans ce genre de moments où sa géniale soeur partait dans les mécanismes de ses réflexions, elle n'avait pas grand-chose à faire que de la laisser tourner en rond jusqu'à ce qu'elle trouve quelque chose. Certes, l'idée venait d'elle, mais c'était tout de même étonnant à quel point son ainée pouvait si rapidement s'approprier des concepts pour les retourner dans tous les sens. Dans tous les cas, la plus jeune se trouvait "seule à seule" avec Tetsuko-sama tandis que Homura s'était mise à marcher en long, en large et en travers de la tente, se tenant le menton et marmonnant pour elle-même.

Le seigneur Tetsuko était là, juste à côté d'elle, la dominant de sa stature imposante. Cet acier qui le parait procurait à la jeune archère un sentiment de sécurité, quand bien même l'armure ne la protégeait pas elle. Mieux encore - il croyait en elles. Cette confiance en leur ingéniosité l'emplissait d'un feu nouveau. L'espace d'un instant, elle se rappelait la loyauté que feu ses parents lui avaient inculquée.

Le Daimiyo est notre colonne vertébrale. Nous sommes les muscles. Nous lui permettons de se mouvoir, d'exercer sa volonté, mais c'est lui qui nous permet de tenir debout.

Bien qu'il en dise autrement, Hibana ne se permettrait jamais un échec sur cette mission. Mais craignant qu'il perde patience tandis qu'Homura faisait tourner la machine de son esprit, Hibana fut tentée de proposer à Kazuo un thé. Elle entama d'en préparer sur l'âtre de fortune qui rougeoyait doucement. Elle-même ressemblait un peu à un petit âtre, à force de regarder le seigneur.

"Ce serait avec honneur, Tetsuko-sama. Venant d'un village minier, je me suis dit... Bon, ce n'est peut-être pas une si bonne idée que cela. Et je sais que notre démonstration de l'Ishiyumi de ma soeur, il y a quelques temps de cela, vous a probablement marquée. Sans bois, ce sera difficile de le fabriquer, mais... Homura a peut-être déjà compris ce que j'avais en tête. Je ne parle pas d'une machine de guerre comme celle-là. En revanche... Nous pourrions, je pense, peut-être nous en servir pour l'infanterie."

Homura s'interrompit soudain et pointa Hibana du doigt, la faisant sursauter.

"Mille éclairs du ciel dans une boîte! Mais c'est bien sûr!"

"Euh... Tu as une idée?!"

Voyant que les deux observateurs la fixaient, dans l'expectative, Homura prit une petite inspiration. Ça y était. Elle était en marche.

"Tetsuko-Sama! Imaginez... Deux boeufs... Non, attendez, quatre. Deux seulement auraient peine à mouvoir le poids. Quatre boeufs attelés ensemble, portant sur eux une charette faite de pierre. Non pas derrière eux - SUR eux. La charrette serait assez large pour quatre à cinq hommes, dont un archer que l'on pourrait poster sur le toit. Nous laisserions de fines ouvertures pour que l'on puisse tirer à travers, mais l'ennemi devrait se rapprocher beaucoup pour pouvoir toucher les hommes à l'intérieur. Pour bloquer les ouvertures, nous utilisons des boucliers tenus à la main, permettant aux fantassins de se replier à l'intérieur de la charrette comme une tortue dans sa carapace! Ce qu'il nous faut, ce sont de larges pierres plates à imbriquer les unes dans les autres... Un peu de mortier devrait les souder ensemble de façon suffisamment efficace!"

La grande soeur semblait elle-même très emballée par cette idée. Hibana repris derrière.

"Mais oui, bien sûr! Avec ça, même nos archers pourraient s'avancer un peu plus en prenant moins de risques! Je pense pouvoir entrainer mes hommes pour manier une pareille machine, si toutefois nous avons le champ libre pour mettre au point un prototype..."

C'est alors que les deux soeurs se retournèrent vers leur seigneur. L'idée était peut-être juste folle et fantaisiste. Peut-être réalisable, mais trop alambiquée ou trop peu efficace. Toujours était-il que Homura et Hibana attendaient du seigneur des Camélias qu'il donne son aval pour mener des tests sur cette machine issue de l'ingéniosité tordue des Jotohei de Tsubaki. Telles deux adolescentes regardent leur père alors qu'il s'apprête à les laisser partir pour leur Namae no Hi.

Qui veut la paix prépare les machines de guerre

Ses interrogations n’avaient en rien été rhétoriques, il n’en connaissait en aucun cas les réponses quand bien même aurait-il eu l’air d’un enseignant poussant la réflexion de ses étudiants au travers d’un cheminement de pensés provoqué par une orientation volontaire de ses questions. C’était pourtant là l’une de ses spécialités : Kazuo jetait le temari à quelqu’un par le biais de ses demandes, suivant la balle d’une oreille attentive à mesure que celle-ci passait métaphoriquement de mains en mains. Le domaine du sujet n’était pas celui du Daimyo néanmoins, si bien qu’il était loin d’être certain de la pertinence de son raisonnement. Malgré cela, l’héritier du Kami de la Guerre se plia volontiers à l’exercice d’imagination qui lui fut demandé en cours de créativité. L’estampe se dessinant dans son esprit lui apparut alors…

… Ridicule.

Sa main levée sous son menton, ses yeux s'écarquillant sous l’incongruité de ce qui lui était décrit. Un chariot de pierre… Supporté par quatre bêtes de somme… Et tout autant d’humains montés sur le tout. Il ne parvenait tout simplement pas à comprendre ce qui lui était transmis. Interloqué, il avisa les sœurs qui semblaient parfaitement s’entendre sur le propos. Une seule chose lui était paru limpide : la tortue. Outre le fait qu’il s’agissait là de la créature symbolisant le Nord et par voie de conséquence, Tsubaki, il comprenait tout à fait l’objectif de tout ce charabia qui lui était transmis.

La sororité Fuhenbi se tourna dans sa direction à l’unisson lorsque leur échange fut terminé. La balle de temari était dans entre les doigts du titan à présent. Quelque peu déconcerté, celui-ci dirigea ses iris en direction du sommet de la tente des Jôtôhei de Migotobuki.

Un char pour l’assaut ?

Grogna t-il confondu, ayant en tête le reptile à carapace sans pour autant comprendre comment le plan de ses subalternes pourrait ne serait-ce que fonctionner. Il poursuivit, non sans faire tomber sur elles l’or de ses prunelles enflammées.

Nul assemblage en pierre ne pourrait résister à un mouvement constant. Le poids de ce que vous m’exposez ne saurait être soutenu par quatre pauvres bœufs… Il en faudrait presque des dizaines pour supporter un matériel assez solide pour tenir debout. Et qui guiderait ce troupeau ?

Pensif, le seigneur du Camélia débuta de faire les cent pas, caressant pensivement son menton de ses index et pouce droit. Puis il refit face à ses interlocutrices.

Ceci étant dit, je ne fais que raisonner avec le peu que mes connaissances ont en la matière… Est ce réalisable ? Si oui, quelle est l’hypothétique utilité stratégique de cette idée ? Qu’est ce que cela combat ? Et dans quelle configuration cela pourrait-il contrebalancer notre besoin en bois ?

Intrigué, l’héritier Tetsuko l’était de toute évidence, mais il n’avait pas non plus opposé son véto au concept exposé. Ce qui était encourageant, non ?

Leur seigneur avait raison sur un point. Un gros bloc de pierre, peu importe sa forme, c’était tout de même extrêmement lourd. Remplacer les machines en bois par des machines en pierre, c’était une idée telle qu’elles en étaient dignes de la Dame de la Forge - géniales, mais folles. L’inventivité d’Homura ne s’avouerait pas vaincue pour autant.

“Si nous creusons les blocs de pierre de façon à ne former qu’une boîte aux murs fins, je suis certaine que le poids s’en retrouverait réduit, et nous pourrions alors les poser sans souci sur les boeufs. Alternativement, nous pourrions faire couper des plaques et les attacher à l’aide de cordes.Mais par contre, pour ce qui est de les faire bouger…”

Hibana elle aussi avait ses idées. Mais tout aussi géniale que sa soeur puisse paraître, elle avait un meilleur plan de vue sur la stratégie de combat et sur le déroulement d’un champ de bataille.

“Attends, Homura. L’idée du… Char d’Assaut (elle se permit d’emprunter le terme aux mots de Tetsuko-sama) est très alléchante en termes de stratégie mais… La puissance stratégique des Ishiyumi ne pourrait pas être égalée avec un instrument pareil. Notre Daimiyo a raison - on est en train d’inventer une chose qui te prendrait des années à perfectionner, et on n’a pas des années avant la prochaine bataille…”

Homura de croiser les bras, pensive, l’air visiblement contrariée.

“... Ce que je veux dire, c’est qu’on devrait compenser notre manque de puissance de feu par une meilleure tactique.”

La jeune archère soupira. Les machines de guerre qu’Homura pouvait inventer auraient fait la fierté de Tsubaki, et même elle avait cru un instant à la grandeur de ce rêve. Mais c’était sans compter sur leur ennemi le plus redoutable - le temps. à vouloir brûler les étapes, ceux qui visent la gloire finissent au fond du gouffre. Elle se tourna vers Kazuo et s’inclina poliment.

“Seigneur… Si vous permettez que je m’entretienne avec vos officiers, j’aimerais réfléchir avec eux sur ce qui pourrait nous donner l’avantage. Nous ne savons toujours pas qui nous combattons, mais je suis certaine qu’avec un entraînement spécifique, nos hommes pourraient égaler un seul de nos Ishiyumi sur le champ de bataille…”

Homura leva la tête. Elle n’était pas prête à abandonner son idée, mais elle savait que si sa soeur avait une idée, il valait mieux y prêter une attention toute particulière.

“Qu’est-ce que tu suggères? Car je te rappelle que nous n’avons pas de bois à allouer à nos plans. Sans le nerf de la guerre, comment comptes-tu égaler la puissance des machines?”

“Je ne pense pas avoir la meilleure solution mais… J’ai entrainé mes archers à tirer dans des tas de situations qui n’arrivent jamais sur le champ de bataille. Les guerriers de Migotobuki sont formés à toutes les éventualités, peu importe combien elles sont improbables. Et ça nous a toujours réussi. Alors je pense qu’avec un entraînement un peu spécial, mais court, nous pourrions transformer notre tactique… Ce que j’ai en tête, pour l’instant, fait usage de la pierre. Mais je me contenterais de la fixer au bout d’une corde…”

Homura tourna son regard vers le seigneur des Camélias, attendant sa réponse à la suggestion de sa petite sœur. En cet instant, la situation était la même que deux sœurs demandant à leur père de favoriser l'une ou l'autre.