[Terminé] Des éléments qui détonnent et un Sakura qui rayonne [Pv Gemmei]

Des éléments qui détonnent et un Sakura qui rayonne


Gemmei accueilla la bouteille du Daimyo comme un trésor. Les paumes et les doigts grands ouverts, des étoiles dans les yeux, la Sakura saisit l’alcool tendu avec grand soin. Visiblement, elle n’était pas encore assez ivre pour manquer d’habileté, malgré que ses mots soient mâchés et sa position avachie.

« Trop cool ! M’ci, Ouka-sama ! »

Elle songea un instant qu’elle était bien contente que le nom de famille des descendants de Uzume soit si facile à prononcer. Par réflexe l’enfant des Cerisiers secoua la bouteille, comme Torai précédemment, avant de boire une bonne gorgée. Elle ne finit pas l’alcool tout de suite, prenant le temps de savourer. Ne faisant pas les choses dans l’ordre, elle renifla ensuite le goulot pour mieux identifier ce qu’elle buvait. Enfin elle termina la bouteille, murmurant un dernier « M’ci hein ! » avant que le Daimyo ne reprenne la parole. Son oeil s’écarquilla, comme si elle n’avait pas compris la question. Gemmei la retourna dans tous les sens, prit le temps de réfléchir, et enfin répondit, toujours avec cet air ébaubi :

« J’dirais qu’un coup parfait, c’t’un coup qui commence et termine un combat à la fois ? »

La Sakura n’était vraiment pas sûre d’elle. Son œil s’agrandit encore un peu tandis qu’elle contemplait Torai remettre ses cheveux en arrière, dans la lumière crépusculaire. Le vent semblait murmurer quelque chose aussi. Cette vision fit sourire mystérieusement la bushi rose. Elle le trouvait simplement beau, sans arrière-pensée. Tout entier qu’il était, avec ses qualités, ses défauts défauts et les derniers rayons du soleil endormi.

« J’comprends pas trop... » avoua-t-elle d’un air navré en se frottant la nuque. « S’vous voulez mettre un deuxième coup parfait, alors mettez-vous au kendo. Nan ? » Elle haussa les épaules. « Enfin j’peux comprendre qu’c’t’un héritage et tout ça… J’veux dire… J’s’rai pas là ou j’en suis si j’avais s’vie la voie qu’on m’avait choisi... »

Elle porta la bouteille à ses lèvres, pour se rappeler seulement à cet instant qu’elle était vide. Gemmei l’observa le regard hagard, réfléchissant à voix haute :

« Ça sert à rien d’vivre pour pas faire c’qu’on veut… Vot’ père y s’rait vraiment plus honteux d’vous entre votre laido à plusieurs coups ou d’vous voir d’v’nir bon dans un aut’ art martial ? »

Des éléments qui détonnent et un Sakura qui rayonne


La Sakura ne comprit pas l’éclat de rire du Daimyo sur l’instant. L'œil rond tout d’abord, Gemmei se détendit bien vite en portant son regard à l’horizon. S’il s’esclafflait, c’est qu’il était heureux. Cette conclusion suffit à l’alcoolique qui malgré son inhibition tentait de mettre du cœur dans son discours.

« Le coup parfait du Kami... » répéta-t-elle bêtement, marmonnant à moitié ses mots. Elle sourit bêtement. « C’est classe. »

Elle posa la bouteille vide à ses pieds. La bushi rose sembla soudain s’ennuyer, les mains désormais libres. Elle semblait chercher quelque chose à attraper, à mêler entre ses doigts. Aussi tapotait-elle ses vêtements, tiraillait son obi ou encore enlaçait un doigt dans une mèche de cheveux. Pour autant elle ne manqua pas d’attention envers Torai, malgré le plissement de ses yeux. Elle tentait de se concentrer à chaque fois. Elle fronça plus fort les sourcils en voyant le Daimyo sortir une toute petite bouteille de son kimono. Le malin ! Alors qu’il avait encore une bouteille à la main !

« J’trouve ça classe, d’vouloir s’adapter à tout. J’veux dire, ouais, nous autres Sakura on veut pl’tôt s’dédier à un art mais où est l’mal à vouloir atteindre d’aut’ formes de perfections ? »

L’esprit de Gemmei était trop simplet pour prendre en considération le regard d’autrui. Et de toute façon, il suffisait d’un regard sur sa personne pour se rendre compte que cela lui passait bien au-dessus de sa chevelure sauvage.
Comme un miroir, l’enfant des Cerisiers s’attrista en voyant la mine de Torai perdre de son allégresse. La Samurai était davantage empathique après deux litres d’alcool dans le sang. Elle ressemblait presque à un chiot à présent, les yeux mouillés et les traits désemparés.

« J’vois… J’vois... » baragouina-t-elle d’une voix chevrotante. « Enfin… J’vois pas tant qu’ça pa’c’qu’c’est compliqué vot’ affaire… Mais j’vois qu’ça vous peine, alors ça m’peine aussi, Ouka-sama. »

Elle avait plus ou moins saisi le paradoxe de vouloir porter un coup parfait tout en souhaitant en élancer d’autres. Elle hocha la tête de gauche à droite, abattue.

« Mon maît’ il pourrait bien plus vous aider qu’moi... » avoua-t-elle.

L’air défaitiste de son attitude s’évanouit aussitôt que le sujet vint sur sa personne. Elle leva la tête tout d’un coup, l’air surpris. « Moi ? » s’étonna-t-elle. Le Daimyo s’intéressait à une Samurai immontrable comme elle ? Cela l’émut presque aux larmes. Un gouttelette manqua de perler depuis son œil unique.

« Bah, Takegi c’l’nom d’mon père, mon grand-père, mon arrière-grand-père, m’enfin m’voyez quoi. » Elle fit un effort pour être moins avachie et se redressa légèrement. « On est là d’puis longtemps mais on est des Samurai des campagnes. On connaît davantage not’ saké qu'not’ talent à l’épée. Mais not’ alcool est l’meilleur du pays ! Ils en boivent même à la cour impériale, v’savez ! »

Gemmei semblait très fière.

« Bouger deux épées en même temps ça m’a paru trop classe alors j’ai r’joins l’école d’mon maître, à Atsuihi. Hyōhō niten ichi ryū qu’s’appelle mon koryū. » Elle augmenta son sourire en se penchant en arrière. « Tredi… Trami… Traditionnellement... » Les mots longs étaient difficiles à prononcer à travers son esprit embué d’alcool. « Ma f’mille c’plus Ittō-ryū. »

Des éléments qui détonnent et un Sakura qui rayonne


La Samurai n’allait certainement pas refuser la bouteille tendue. Une fois dans ses mains le monde pouvait bien s’écrouler : aussi Gemmei ne se formalisa pas de l’épaule attrapée par son Daimyo. Ils buvaient et se détendaient, qui plus est. La Sakura tendait à oublier la distance qui aurait dû s’imposer entre eux.

« Une danse ? » répéta-t-elle, amusée. « Sacrée danse... »

Elle ricana, but une gorgée. Il lui demandait d’apprendre son style de combat ? La Sakura ne fut pas sûre de ce qu’elle devait dire ou faire. Elle ne se considérait pas comme un professeur, encore moins un maître. D’un autre côté, c’était le descendant de Uzume lui-même qui lui demandait cette faveur…

« Deux, trois trucs alors, quand j’s’rai pas bourrée. »

Un hoquet ponctua sa phrase, puis un rire. Son allégresse s’estompa alors que Torai attrapait ses vêtements, réduisant davantage la distance entre eux. Son haleine alcoolisée chatouille les narines de Gemmei. Son oeil écarquillé fixait le regard intense de son interlocuteur. Interdite, elle ne sut comment interpréter les gestes brusques du Daimyo. Alors elle ne dit rien. Elle attendit patiemment qu’il la lâche. Lorsqu’enfin ce fut fait, un malaise palpable se dessinait sur ses traits.
La bushi rose observa l’alcool qu’elle tenait. Elle hésita quant à reboire un coup, se demandant si cela était impoli. Un haussement d’épaule plus tard, la femme ne se posait plus la question et but simplement avant de rendre la bouteille à son propriétaire. Elle semblait ravie. Elle reprit la flasque en céramique d’un geste mécanique, son attention portée sur Torai.

« J’trouve ça beau et classe, d’cumuler du savoir. V’loir tout maîtriser parfaitement c’t’ambitieux, mais ça v’va bien. »

Son regard suivit l’homme qui était debout dorénavant. Elle pouffa bêtement en le voyant manquer de trébucher ; lorsque leurs yeux se croisèrent de nouveau, Gemmei avait l’air d’une enfant prise sur le fait tentant de cacher sa bêtise.

« J’en suis fière. » dit-elle sans mâcher un seul mot cette fois-ci. Un effort pour prouver ses dires. « M’ci pour le compliment, ç’fait plaisir ! »

Cela se voyait amplement sur son visage heureux, l’iris pétillant de mille étoiles. L’adoptée Takegi se leva à son tour et leva ses bras haut vers le ciel afin de s’étirer. Elle grommela un peu, fit rouler son épaule droite, puis tendit l’alcool à Torai pour le lui rendre.

« J’vais réf’chir à quoi qu’vous allez m’apprendre. » Les mots sortaient difficilement dans le bon ordre. Elle augmenta son sourire. « Là com’ça j’saurai pas quoi, j’veux dire, à part l’saké et le Hyōhō niten ichi ryū y’a rien qu’m’intéresse… Mais ouais, trop ! »

Elle s’esclaffa, les deux mains sur les hanches.

« Le soleil est d’jà plus là, j’vous vois à peine. Faut qu’j’y aille. »

Elle amorça quelques pas pour disposer d’un espace suffisant entre elle et le Daimyo. Ensuite, Gemmei s’inclina poliment, peut-être un peu trop bas ; elle ne se rendait plus bien compte des distances.

« M’ci pour tout, Ouka-sama ! »

La Sakura pivota sur ses talons, marcha quelques pas, puis fit volte-face. Elle lança un dernier salut à Torai, d’un signe de la main. Avant de partir définitivement, elle lui lança :

« J’s’père qu’on s’v’ra au matsuri ! »