[CLOS]Les traces d'un Kitsune sur la terre des Tsubaki..

D’un geste sec, il projeta hors de sa lame le sang du dernier des deux bandits dont les destins s’étaient scellés dès lors qu’ils s’étaient dirigés vers la province de Kaisou-Tochi.

Depuis deux mois, il ne cessait de venir en personne au cœur de la circonscription dont le contrôle avait échappé à maintes reprises des mains du subalterne direct gouvernant cette dernière. Le Daimyo avait été le témoin d’une menace impensable alors, l’avènement d’un prétendu clan d’anonymes qu’il avait dû affronter par deux fois déjà. Après les évènements du village de Migotobuki, il avait passé ses journées à organiser patrouilles et rondes afin de trouver traces de survivants des sacs ou de fuyards liés à ce maudit groupe. Aucun signalement alarmant n’avait dès lors plus eu lieu et les légions du clan s’étaient rassemblées pour plus de la moitié des forces armées disponibles au sein de la région. Le cordon serré du filet qu’il était parvenu à tendre n’aurait rien laissé passer et l’alerte qui survint ce jour précisément ne fut guère une surprise, ni moins de bonne augure.

Pourtant, ce ne furent que deux âmes que Kazuo et sa proche garde prirent en chasse, tout juste capable d’être distingués comme des éclaireurs des forces qu’ils avaient affronté presque tout l’hiver durant. Ils ne se rendirent point, très vite rattrapés et acculés pourtant. Il n’y eut pas de véritable combat non plus, le Daimyo refusant le moindre honneur qu’on pouvait accorder à un homme, les traitants comme moins que cela. Lorsque tout fut terminé, ils s’en retournèrent au relai le plus célèbre de son domaine afin de prendre repos et déterminer la suite du déroulement des opérations locales. Saigo Ekiden était un village fortifié en une unique direction dont les murailles étaient hérissées de vigies aux regards braqués vers l’Ouest. Triste témoignage d’une confiance à jamais flouée, l’héritier de Hachiman n’éprouvait aucun confort à y séjourner. Il n’eut cependant guère le temps de maugréer que l’on vint à lui, directement, signalant un fait qu’il n’aurait jamais cru entendre prononcé un jour.

Abasourdis, deux de ses guerriers se présentant à lui annoncèrent qu’une créature spirituelle revêche et sans la moindre convenance, arborant les kamon et couleurs des disciples de Omoikane mandait outrageusement à le rencontrer. Un tel culot décrit ainsi rendit le seigneur des Tsubaki des plus curieux, quoique incommodé plus qu’autre chose. Les yokai n’étaient pas des êtres dont il goûtait la compagnie, leurs pensées bien trop différentes et imprévisibles par rapport au genre humain. Kazuo ne les comprenait tout simplement pas et c’était le cas de bon nombre de ses citoyens. Pour autant, sa vie avait été ponctuée de rencontres avec ces créations étranges des Kamis. Une d’elle la lui avait même sauvée, nourrissant une dette dont il était aujourd’hui bien incertain de pouvoir la rembourser. Ce ne fut que cette unique pensée qui lui fit considérer d’honorer la requête qui lui avait été dépeinte et non de faire reconduire sans ménagement cet invité inopportun qui se pensait tout permis.

Il le reçut ainsi dans la demeure même du jotohei administrant ce domaine. Son armure avait été largement nettoyée et remise à neuve depuis ses récents affrontements, rutilante du carmin de son clan. Son kabuto et son mempo avaient trouvé place sur une table qui se dressait face à lui, vide de toute autre décoration. À ses côtés quelques-uns de ses prétoriens, rendus incrédules de ce qu’ils avaient pu entendre au sujet de ce malappris qui aurait déclaré qu’il n’était nullement quelqu’un à prendre à la légère.

Lorsqu’il l’arrogant inconnu pénétra la pièce, un sentiment général de déception se répandit doucement. Il était aisé d’imaginer les plus fantastiques créatures alors que le mot yokai était prononcé. Celui-ci, bien que d’une certaine stature, possédait des traits d’une finesse le rendant plus attrayant qu’intimidant. L’exception seule d’une cicatrice qui parcourait ce masque parvint à aiguiser la curiosité… Mais d’ores et déjà, nul sentiment de crainte n’était décelable sur les visages des guerriers du Camélia et encore moins sur celui de leur maître.

Je suis Tetsuko Kazuo, Daimyo des Tsubaki dont vous avez foulé les terres, Renge-san.

Clama t-il sans autre forme de procès. Positionné en tailleur face au meuble qui supportait son casque de guerre, sa main gauche à plat sur sa cuisse et son poing droit contre sa joue en support de sa tête, son expression avait tout d’une lassitude profonde.

On me dit que vous souhaitez discuter avec moi… Il haussa un sourcil, sincèrement curieux, avant d’ajouter :

Qui pensez-vous être pour posséder ce droit là après avoir pénétré ma frontière sans la moindre autorisation ou invitation que ce soit ?

Il était déçu, cela ne faisait aucun doute…

… Mais ô combien soulagé, en vérité. Car là n’était pas le kitsune qu’il avait un fugace instant cru retrouver. Kazuo se trouvait en vérité stupide d’avoir pu penser que le pays était si petit, quand bien même parlait-on là de deux de ses royaumes, qu’il aurait pu être mis en présence face à elle. Elle à qui il n’avait pas oublié la promesse faite, dont l’objectif lui semblait dorénavant illusoire, effacé, enterré sous autant de naïveté qu’il avait pu avoir, en ce temps. Une dette qui ne pourrait jamais être honorée. Balayant la morosité qui débutait de l’habiter d’idées atrabilaires, il releva ses yeux d’or sur l’arrivant attendu. Peu de choses séparaient la créature d’une humanité entière, si bien que le fait rehaussait les différences arborées, plongeant le Daimyo dans une vallée de l’étrange qui le mit mal à l’aise. De cela, il n’en montra cependant rien, tâchant de laisser l’impromptu invité répondre aux questions posées.

L’animal parut immédiatement changé par rapport aux propos qui lui avaient été ramenés. La conscience de la gravité de son acte ne semblait pas lui échapper et rien n’aurait pu prouver qu’il ne cherchait pas à faire amende honorable. Les jambes croisées sous lui, armuré de son fer rutilant, l’héritier de Hachiman se redressa à mesure des mots du visiteur. Un sourire vint poindre à la commissure de ses lèvres, il étala ses doigts sur ses genoux poursuivant de laisser son anonyme interlocuteur s’exprimer, malgré les divers manquements aux usages dont celui-ci faisait preuve. Nul doute n’était permis à l’écouter qu’il puisse avoir agit sous un coup de sang et provoqués deux des hommes du Camélia remplissant simplement leur devoir. Ce prêtre sans nom n’apparaissait réellement pas imaginer qu’il ait pu échapper à l’enfermement pour ses petites bravades, jusqu’à ce que son rang et identité soient attestées.

Le premier des Tetsuko mit tout ceci volontiers sur le fait que ses voisins du Sud étaient connus pour leur pieuse réclusion, leur faisant probablement manquer l’étude de l’étiquette, entre autres choses.

Nos coutumes diffèrent tant que cela entre Lotus et Camélia, pour que j’en sois encore à ignorer votre nom, Renge-san ?

Tonna-t-il sans qu’aucune colère ne soit décelable dans son ton.

Je n’ai point réfléchi à une sentence, ni n’ait encore de quoi juger de votre humilité, prêtre annoncé de Ô-Omoikane-no-Kami, Père de l’intelligence, de la réflexion et du conseil avisé.

S’il avait pu dire cela sans la moindre ironie, son expression évoquait néanmoins qu’un soupçon de sarcasme poindrait rapidement, ce qui se révéla aussitôt un fait tandis qu’il ajouta, le rire dans sa voix :

Laissez-moi donc vous en offrir un, sans prétention d’être digne de la sagesse de votre prestigieux Guide Divin : Présentez vous avant toute autre chose lors de vos interactions avec notre genre.

Le mot eut pour effet de détendre l’atmosphère tendue qui planait sur les bushis en armes et gardiens du Daimyo. Ce dernier souriait à présent plus franchement que l’instant d’avant.

Installez vous, Prêtre-Renge-san et détendez vous à présent. Vos voleurs ne sont plus et le Destin semble avoir décidé que leur fin se produise peu de temps avant votre arrivée en ces murs. La coïncidence m'apparaît comme un signe d’apaisement !

Puis il se pencha, derrière son sourire et ses iris de métaux rares brillait une lueur de curiosité intéressée avant de conclure :

Conversons donc autour d’un thé, si vous le voulez bien. Et parlez-moi de ces raisons autres que vos fuyards qui vous ont poussés à mander ma rencontre.

Rattacher un nom n’éveilla rien des renseignements qu’il avait du Tengoku, voisine directe de son domaine au sein de Renge-Ryô, si on oubliait l’enclave de Shogun Honbu. Si le daimyo devait se fier aux propos de cet invité imprévu, il avait devant lui le successeur hypothétique d’une connaissance passée. Index et pouces se mêlèrent au collier d’argent que sa barbe formait sur son menton, paupières plissées et sourcils froncés au fur et à mesure des réponses qu’il obtenait.

L’héritier du Kami de la Guerre ne parvenait toujours pas à comprendre les membres du Lotus… Et celui-ci était une créature d’un tout autre genre que le sien, qui plus était. Doutant que le mensonge s’invite dans cette discussion, son utilité rendue futile par la proximité des sources de vérifications qui étayeraient ou non sans mal le discours du présenté Kondo, le bushi choisit par défaut le bénéfice du doute.

Cependant, la déclaration pacifiste qui suivit le laissa pantois. Pris de court, l’incarnation du bras armé de l’Empire écarquilla les yeux, recula instinctivement la tête et ouvrit légèrement la bouche, frappé par l’étonnement. Un temps qui sembla infini, il fixa le dénommé Suou, cherchant dans les iris de celui-ci la trace de quelque espièglerie, mutinerie ou tout signe de farce possible et imaginable dont un Kitsune pourrait marquer ses expressions.

Le maître des Tetsuko ferma d’abord son regard, certain qu’il s’échinait en vain, bien inculte était-il dans l’art de l’empathie sociale… Pire encore de la culture anarchique et bien trop diversifiée des yokai. Les similitudes que les humains avaient avec ces êtres restaient purement physiques dans le meilleur des cas. Levant sa main pour se masser la tempe droite, le seigneur des Camélia s’inclina sur le côté, les traits tirant vers une lassitude profonde.

Lorsque son interlocuteur eut enfin fini, il rappela son sens visuel, notant le balai des appendices hirsutes dans son dos. Sincèrement convaincu que l’esprit renard pensait ce qu’il disait, Kazuo ne put réfréner son besoin d'extérioriser la peine et l’ironie qu’il ressentait. Le bretteur se mit à rire sans la moindre joie, exclamations marquées, profondes, au rythme inquiétant et desquelles nulle chaleur ne perçait. Cela ne dura pas néanmoins. Tandis qu’il recouvrait son calme, le descendant de Hachiman fixa le convive avec intensité avant de répondre enfin à son tour, sa voix pareille à la chute de rochers dévalant une pente abrupte :

Quelques mots de votre part suffisent à démontrer à quel point nous ne parvenons pas à nous comprendre et combien nos dissemblances nous séparent, Kondo-san. Laissez-moi, pour commencer, corriger votre méprise du comportement que vous semblez déceler chez les miens.

Ramenant ses mains sur sa cuisse et se redressant, il dû baisser ses prunelles pour poursuivre de les fixer sur le prêtre.

Je ne peux parler pour tous cependant, mais détrompez vous si vous pensez que l’ensemble de mes gens méprisent votre genre et la myriade d’autres qui ne font pas partie de celui des hommes.

Il serra son poing droit à mesure qu’il prononçait ses mots.

Ne vous laissez pas aveugler par le Cerisier qui n’a de compréhension pour les vôtres que lorsque ceux-ci lui apporte maîtrise en art ou expertise de façonnage quelconque… Ne pensez pas le Lys Noir votre allié parce que vous êtes vous même, de toute évidence, des élus d’Inari. Ne considérez même pas que le Lotus dont vous portez l'héraldique accueillerait les créatures de votre genre sans le savoir ancestral que la longévité de certains d’entre vous peuvent avoir…

Kazuo se baissa légèrement, afin que la ligne de son champ de vision soit parfaitement à la hauteur de celle de Suou.

Mais vous pouvez avoir confiance dans le Camélia pour ne jamais vous mentir : nous ne vous méprisons pas. Nous ne vous comprenons tout simplement pas et nous ne nous en cachons pas. Nous sommes le territoire du Kami protecteur du peuple. Seule existe la méfiance de ce que vous êtes, pouvez être, fûtes et serez.

Se relevant de nouveau, il apparut loin d’en avoir fini et coupa court toute idée de prise de parole en continuant :

Je vous remercie de vous prétendre porteur de tels idéaux. Mais vous devez vous rendre compte de la vanité de ceux-ci. J’en ai partagé naïvement l’espoir… Autrefois.

Il serra un fugace instant les dents avant d’enchaîner :

Le Camélia et le Lotus s'opposent en tout et pour tout à l'exception de leur loyauté envers l'Empereur, pour ce que nous en savons. Tout comme les milliers d’espèces que nous avons, par notre manque de savoir, appelées Yokai et rangées dans le même sac, n’essayez pas de voir en nous et nos voisins auxquels vous appartenez la moindre ressemblance autre que l’apparence.

Haussant un sourcil, enfin, il garda le silence un moment afin de laisser le Kitsune digérer les propos tenus jusque là, mais il paraissait loin d’avoir terminé pour autant. Pourtant, son ton s’était adouci, comme celui d’un aïeul cherchant à éduquer un jeune bambin.

Vous venez d’abord à moi pour des raisons très différentes de celles que vous énoncez ensuite. Vous ne représentez en aucun cas les intérêts communs de votre clan, votre voix n’étant que celle d’un honorable temple. Je ne distingue nulle missive de mon homologue qui puisse étayer vos propos… Je doute qu’un jour il soit possible que Hasuzurui-dono et moi-même puissions voir ce que vous apparaissez espérer. Et si vous pensez que vos idées sont révolutionnaires, novatrices… Vous arrivez dix ans trop tard.

Les traits du bushi semblèrent soudain usés. Baissant les yeux sur la table qui lui faisait face et sur son casque qui y prenait place, Kazuo finit par conclure :

Enfin… Laissez-moi donc vous montrer l’hospitalité Tsubaki, Kondo-san, en vous demandant si un rafraîchissement ou de quoi vous sustenter quelque peu vous siérait ?

La demande l’avait pris de court.

Kazuo s’était redressé, un de ses sourcils poursuivant son mouvement et s’était élevé avec curiosité tandis que ses iris tâchaient de cerner derechef ce visiteur qu’il avait pourtant bien annoncé comme hors de toute compréhension possible. Circonspect et intrigué, le bushi s’accouda sur son genou droit. Pourtant l’instant ne dura pas, la réalité se confondant avec les propos qu’il avait tenu lui-même plus tôt : cette créature ne comprenait pas. Qu’il fut du Lotus ou même un Kitsune, comme il le soulignait avec conviction et insistance, ne changeait pas grand-chose au résultat. Les paupières tombant légèrement, l’héritier de Hachiman ressenti de nouveau cette lassitude qui l’eut pris plus tôt. Le vague à l’âme, seule sa politesse faisait qu’il poursuive d’écouter ce visiteur opportun et ses désidératas immatures. Pourtant il comprenait le fond de ceux-ci et peut-être les avait-il partagés, un jour, avant que l’existence se rappelle à lui et vienne se heurter à sa naïveté.

Je ne crois pas que le fait de résider au sein de mon domaine vous éclairera plus que ne le feraient nos émissaires en visite au sein du votre.

Soupira-t-il d’abord avec apathie.

Cela fait deux mois que nous bataillons ici même, dans la province de Kaisou-Tochi, non loin des frontières que vous venez de passer et contre un adversaire qui ne porte aucune reconnaissance clanique. Votre sécurité ne pourrait être garantie en l’état actuel des choses, aussi, je me vois dans l’obligation de refuser votre demande de séjour : Je me dois avant tout de veiller sur mon peuple.

Se redressant finalement, surplombant aisément la scène, il abattit ses yeux d’or sur le yokai, une nouvelle flamme y ayant pris son essence.

Pour ce qui est des insultes que vous concevez dans les simples faits que j’expose, vous m’en voyez navré.

Il ne l’était pas. Le maître des Tsubaki renchérit alors, marquant fermement chacun de ses mots comme autant de coups qu’il portait avec véhémence.

Je le répète : Vous êtes là, face à moi, dix ans trop tard. Si vous possédez un soupçon de sagesse, alors, Kondo Suou, Kitsune commun de son clan, retournez auprès des vôtres pour veiller sur eux. C’est là la seule chose que je puisse vous conseiller.

Un courroux certain, muselé par l’expression grave d’une impatience consommée, persista encore un moment sur les traits du titan. Pour autant s’adoucit-il légèrement, ou du moins, il s’éclaira d’un soupçon de lumière concernée avant d’ajouter, sa main droite trouvant son menton, comme caressant une idée qu’il considérait enfin.

Kondo-san… Vous paraissez volontaire dans l’idée d’incarner un pont entre Lotus et Camélia… Il y-a quelque chose que vous pouvez faire pour moi en votre qualité de prêtre au sein de votre nation de dévots…

Glissant soudainement sa main dans son obi, il en ressortit un inkan de jade tandis que l’un de ses guerriers produisait déjà un carré de vélin soigné, sans que son seigneur n’ait à prononcer un mot. En silence, l’héritier du Dieu protecteur du peuple fit chauffer un bâton de cire alors qu’il reprit son attention orientée vers son entreprise.

Portez auprès de Hasuzurui-dono mon sceau. Prévenez votre Daimyo de ce qui se passe dans ma province. Cet ennemi a été repoussé par deux fois déjà et il n’avait qu’une unique direction vers laquelle se retourner… Et il s’agit du Tengoku.

Frappant la cire sur le tissu de son propre kâmon en guise de preuve de cet échange, il enroula la pièce et la fit nouer dans une corde de soie. Enfin, il la posa face à Suou. Lorsqu’il reprit la parole, un sourire plus doux qu’escompté avait balayé les dures expressions de l’instant d’avant.

Votre venue est plus providentielle qu’il n’y paraît, Kondo-san. Il nous est pénible de communiquer convenablement entre Renge et Tsubaki. Mon message porté par vous même sera bien mieux considéré que s’il avait été amené par mon propre frère.

Les auspices paraissant bien meilleures, autant que son humeur soudaine, il tendit la main droite, paume vers les cieux et conclut enfin :

Un matcha accompagné de quelques harabuto mochi vous iraient-ils ?

Il aurait pu rire alors, non de joie, mais de fureur. Oui, le moindre acte de ce vagabond avait été déplacé, de la façon dont il avait passé la frontière jusqu’à la témérité dont il avait fait preuve en pensant pouvoir s’adresser comme il l’avait fait face à un héritier divin. Mais Kazuo n’avait pas coeur à rabrouer derechef la créature spirituelle, quand bien même elle se fourvoyait. La page de l’affront se tournait et si rien ne lui permettait d’en avoir le cœur net, ce prétendu Renge ne lui semblait en aucun cas agir autrement que mû d’une sincérité presque infantile. L’ironie ne manquait pas d’adoucir légèrement le titan, bien conscient que ces êtres conscients pouvaient largement dépasser l'espérance de vie d’un membre de sa propre espèce. Cela avait joué dans son vœu de lui transmettre la missive à son homologue des hauts monts du Sud, car le daimyo n’avait rien à y perdre et tout à y gagner par la même occasion.

Et alors qu’il eut posé son courrier face au renard mystique des Kondo, impossible fut-il pour le Camélia de ne point surprendre l’expression de celui-ci. Une surprise toute enfantine que les mots prononcés achevèrent de convaincre le bushi du fond bienveillant de ce prêtre étrange. Il sourit face à la suite d’attitudes que son interlocuteur eut. Fierté, reconnaissance, le pli fut pris et rangé avec une déférence qui honora le descendant de Hachiman, quand bien même ce genre d’attitude à son égard était attendue. Se redressant, reposant ses mains sur ses genoux, assistant au spectacle étonnant des deux appendices touffus qui battaient dans le dos du chef proclamé du haut temple en Tengoku. Le samouraï n’eut qu’à tourner son attention en direction de l’un de ses suivants pour que soient cherchés les rafraîchissements et friandises promises, puis en revint au kitsune dont l’humeur s’était au moins autant éclairée que la sienne.

Parfait. Tonna-t-il, non sans claquer doucement sa paume sur sa cuisse. Puis ses traits se durcirent derechef, mais la gravité de ceux-ci n’étaient pas adressés à son vis à vis.

Ce qui se produit en mes terres et nos frontières communes n’est pas à prendre à la légère. Je ne puis vous en dire plus, Hasuzurui-dono étant la seule capable de m’aider à prendre les mesures nécessaires afin d’endiguer cette menace qui pèse sur nous, mais je me dois de vous prévenir de prendre garde. Ce qui a sévit en Kaisou-tochi jusqu’à récemment finira très probablement par se répercuter en Tengoku.

Soudain pensif, ses prunelles errèrent sans véritablement chercher de but à atteindre, leur porteur perdu dans des événements épars qui n’avaient qu’une petite douzaine de jours derrière lui pour le plus récent d’entre eux. Il revint cependant bien assez vite sur l’hypothétique religieux.

Ce n’est qu’une supposition… Mais vos voleurs devaient probablement appartenir à ceux que nous chassions de nos terres…

Les doigts épais de sa main droite vinrent se frotter à son menton, s'emmêlant dans le collier de barbe immaculé qui y trônait.

Et si je puis me permettre… Nous les désignions comme des éclaireurs… Pourquoi en avez-vous parlé en termes de détrousseurs ? Vous auraient-ils soustraits quelques biens précieux ?

C’était une curiosité sincère qu’affichait dorénavant le Daimyo, mais au fond de ses iris du géant brillait une lueur bien différente. L’arrivée du thé et des petits gâteaux ne changèrent en rien l’intensité avec laquelle le Seigneur des Tsubaki avisait à présent son invité impromptu membre supposé du Lotus.