[CLOS] J'vais réchauffer ton sourire !

J’VAIS RÉCHAUFFER TON SOURIRE !
♫ Campsite Theme ~Shibire Lake~ ♪

Étrange lieux où parvenaient à vivre en harmonie les formes les plus différentes. Les dalles plates parcourant la mousse fraîche n’avaient leurs angles droits adoucis que par la fine couche de neige les entourant. Gemmei passa à côté d’un haut tōrō, une lanterne spirituelle en pierre. Le bruit sec du sōzu détourna l’attention de la Samurai sur la fontaine. Elle observa le tube en bambou lentement pencher de l’autre côté avec un sourire. La nostalgie s’emparait de ses songes et réchauffait son corps gelé par les températures montagneuses. Soupirant d’aise la femme posa ses poings sur ses hanches pour contempler ce jardin dont elle ne semblait pas se lasser. Pierres ishi et graviers exécutaient une danse immobile autour de l’herbe et des pas menant à l’engawa du palais. Les vagues inertes que formaient le sable étaient parfaites. C’était le vieux Takeshi qui passait le râteau. Aujourd’hui encore, et ce depuis des éons, il avait ratissé très tôt les kaolin laissant à Gemmei le champ libre pour la journée.

Elle pouffa en reprenant sa route, prenant soin de sautiller d’une pierre à une autre afin de ne pas laisser trop de traces dans la neige. Les suneate à ses jambes claquaient au rythme de ses pas. Un peu n’importe comment, et sans aucun style, Gemmei avait revêtu un large hanten par-dessus son jinbaori aux couleurs du clan du Cerisier. La couleur framboise de sa tenue était donc fortement atténuée par le manteau d’hiver sobrement noir aux manches démesurément longues, chahutant avec un hakama. Eh oui, il lui arrivait d’en porter ; il fallait bien avouer que les températures de sa ville natale n’était pas des plus chaleureuses : aux grands mots les grands remèdes !

Sagement, si l’on pouvait le qualifier ainsi vu son comportement éhonté, la Samurai vint s’asseoir sur l’une des pierres au milieu du sable après avoir pris soin de ne pas déranger les dessins de ce dernier. Une jambe écartée par-dessus laquelle elle posa son coude, l’autre pendant légèrement, Gemmei semblait ne se soucier de rien au monde. Face aux shōji clos la femme attendit patiemment leur ouverture. Lorsque le son du coulissement des portes se fit entendre, la Sakura releva la tête avec des étoiles dans les yeux. Elle s’illumina aussitôt qu’un visage familier se dévoila au seuil de l’engawa. Avec un sourire à en faire pâlir un diable, inquiétant malgré une joie immense sur ses traits, Gemmei pencha légèrement la tête sur le côté et leva la main dans un salut nonchalant.

« Yo, Yucchan ! » Elle ricana plus par réflexe que pour une raison particulière. La Samurai posa sa main sur le manche de son sabre dont elle triturait machinalement le tissu. « Ça va ? »

Comme à son habitude Gemmei était comme sortie de nulle part avec une attitude désinvolte. La misère du monde lui passait bien au-dessus de sa chevelure sauvage.

Alors que la lumière se déposait par faisceaux sur la laine tissée des larges couvertures mauves et grises pressées sur la Dame, celle-ci ouvrait les yeux, ressentant la chaleur procurée par le soleil, si rares en ces temps enneigés. La froidure de l’hiver rendait le sol glacial, les murs de papiers ne protégeant que peu de l’air rigoureux qui régnait dehors. Une clochette de sa main tintait, laissant apparaitre une cohorte de suivantes, munies de plateaux, de vêtements, de peignes et de maquillage. L’heure qui suivait était dédiée à ses suivantes, la préparant et l’apprêtant comme une Dame Renge devait l’être, telle une poupée, elle se laissait être vêtues et coiffée. Son air endormi, plus fort qu’à l’accoutumée aux premières lumières du jour, s’effaçait à mesure que le contenu de son maigre plateau diminuait.

Sa tenue, faite de multiplies couches aussi épaisses que nombreuses recouvraient l’entièreté de son corps. Alternant le blanc et le mauve avec goût, celle-ci ne faisait pas preuve d’abondance, préférant les tons unis et sans motifs, à la seule exception du môn évidant de son clan, brodé sur son dos, à la bordure de l’encolure et sur le bout de ses manches. Celles-ci, traditionnellement longues chez la Dame Kaguya, recouvraient entièrement ses mains. Ses pieds, invisibles sous l’effet des longs drapés, donnaient l’illusion que la représentante du lotus flottait sur le sol, alors qu’elle glissait silencieusement ses tabis blancs sur les tatamis.

Durant cette heure, on lui indiqua la présence de sa cousine, Takegi Gemmei. Un instant, elle s’interrogea : depuis combien de temps ne l’avait-elle pas vue ? Décorant sa toilette de son plus fidèle sourire, on lui ouvrait la porte. Les paupières closes, qu'elle ouvrait nonchalamment, elle avisait sa cousine de bas en haut, ainsi que ce qui semblait être un désastre derrière elle. Le visage immobile, elle salua d’un geste de la tête celle qui lui faisait face, non sans laisser paraitre un léger haussement de sourcil à l’écoute de cet ancien sobriquet, lui rappelant en un instant de longues heures de jeux perdues dans les éons du temps.

« Yucchan ? C'est un surnom que j'avais oublié !
Comment allez-vous, ma cousine bien aimée ?
Que faites-vous ici, en cette matinée ? » interrogeait-elle, lentement, dans un écoulement monotone, à l’articulation précise de chacune de ses syllabes sa cousine.

Elle marcha quelques pas et d’un seul regard, confirma intérieurement ce qui lui avait semblé plus tôt : le jardin zen, quand bien même recouvert d’un épais manteau de neige, avait changé.

« Mesdames, pourriez-vous appeler Takeshi ?
Il semble avoir du travail à refaire, ici
Ménagez-le, il semble fatigué, ces jours-ci. » ajoutait-elle, à l’attention de ses suivantes.

D’un geste de sa main, toujours invisible, elle montrait le chemin à suivre. Invitant à la suivre, elles se dirigeaient vers la pièce habituelle pour les rencontres informelles, sans suivantes, ni personne pour les écouter.

J’VAIS RÉCHAUFFER TON SOURIRE !
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Cela faisait longtemps, trop longtemps que Gemmei n’avait pu poser ses yeux vermillons sur son adorée cousine. La simple vue de ce visage familier suffisait à étirer le joyeux sourire de la Sakura.

« Ça va, ça va. Je caille un peu mais ça va ! »

Elle rit grassement, comme à son habitude. Ses suneate semblaient rire avec elle, cliquetant à chaque mouvement d’épaule porté par la liesse de ses traits. Gemmei dévisagea son interlocutrice. Le teint toujours aussi pâle, si bien qu’elle avait l’impression de pouvoir la traverser, et des yeux fatigués. La bushi se pencha un peu plus, appuyant désormais ses coudes sur ses genoux.

« Et toi, pas trop fatiguée ? »

Inconsciemment elle avait levé un sourcil. Bien que l’enfant des Cerisiers avait pris l’habitude de contempler les joues creuses de Kaguya, cela ne l’avait jamais empêché de s’en inquiéter. Les échos de leurs railleries en ville lui semblaient si éloignés. Gemmei suivit du regard sa cousine faire un pas et observer son entourage. Par mimétisme, la Samurai commença à faire de même. Elle réalisa alors l’état des sols malgré toutes ses précautions. Les rayures enneigées avaient tout même subi la lourde démarche de la Sakura. Elle grimaça une seconde puis sourit de nouveau en se grattant l’arrière du crâne.

« Pardon...C’est que pour se faufiler en douce, bah… Comme d’hab, quoi. » Elle joignit ses mains entre ses jambes écartées, jouant nerveusement avec ses doigts. « J’aimerais pas trop tomber sur des grosses têtes connues en v’nant, t’sais bien. »

Lorsque la Dame des Renge appela ses servantes pour faire revenir Takeshi, Gemmei se leva d’un bond. Elle baragouina des « oh » et « merde » en avançant bizarrement jusqu’à Kaguya. Son lever de jambes était exagéré, les genoux tournés à quatre-vingt-dix degrés tout en alternant un pied sur l’autre en petits bonds. A hauteur du engawa, la Samurai posa ses deux mains sur le plancher chatoyant et souleva son corps pour s’asseoir brusquement d’un seul mouvement rustaud. Elle plissa les yeux, la luminosité soudain moins forte sous les charpentes épaisses. Le peu de luminosité parvenait tout de même à l’éblouir, rendant les pierres particulièrement blanches. C’est avec ce drôle d’air que Gemmei tourna le visage vers sa cousine, le menton relevé et le nez retroussé.

« Le vieux Takeshi est fatigué ? »

La Sakura ne se souvenait pas de son âge. En revanche elle gardait trace du vieillard depuis très tôt dans son enfance ; qui n’était pas si gris à cette époque. Elle ouvrit grand la bouche, comme si sa mâchoire se décrochait, alors que ses yeux s’écarquillaient d’autant de surprise que de crainte.

« Il va pas canner, quand même ? »

Ses répliques n’avaient aucune élégance et moins encore de tact, pourtant ses pensées étaient attentionnées. Gemmei bougea ses mains de manière erratique, ses doigts s’articulant bizarrement sous la pression.

« Je, euh, j’peux passer le râteau sur le kaolin, si tu veux ! S’il veut ! » Elle baissait et levait ses yeux spasmodiquement. « E-Enfin j’sais pas faire mais ça doit pas être dur... »

Ne parvenant même pas à suivre le fil de sa propre pensée, alors que la Sakura redressait la tête pour regarder Kaguya depuis sa position assise, elle souffla :

« Et, euh, ça va ? »

Regardant sa cousine avec un léger voile d’amusement, le visage toujours lisse et presque sans expression, elle ne s’étonnait plus de la maladresse de sa cousine, qui avait cependant l’effet d’une accolade réconfortante, caressant ces souvenirs tendres et familiers d’une jeunesse libre et enchantée. Laissant venir cette amie et cousine près d’elle, couverte par les toits du jardin intérieur, elle posait ses yeux sur le jardin quelque peu désordonné par la tornade que pouvait être cette exilée. Kaguya se rassura presque de constater qu’au moins, sa cousine n’avait en tout point absolument pas changé… du moins, de ce côté.

« Non, soyez rassurée
Il ne va pas... canner.
Laissons-le travailler »

Voyant l’insistance des questions de sa cousine, la Dame ressentait la nécessité de répondre aux interrogations concernant sa santé. Si elle avait préféré soigneusement les éviter, il semblait urgent d’y répondre malgré tout. Mais ne voulant pas causer d’excessives inquiétudes, elle tentait de rester vague tout en limitant les éventuelles capacités imaginatives de son interlocutrice pouvant faire preuve d’une grande originalité.

« Je suis si fatiguée
Ces interminables journées
semblent jamais ne s'arrêter ».

S’écartant du jardin qui allait faire l’objet d’un ouvrage que seul le viel homme prénommé Takeshi semblait satisfaire Kaguya, la précision de ses gestes et sa dextérité dans ses traits étant jusqu’alors inégalés, mais dont la concentration n’était possible qu’avec un silence parfait, la jeune femme préférait continuer le chemin qu’elle avait plus tôt initiée, montrant toujours le chemin vers un lieu plus chaud.

« Veuillez me suivre, je vous prie
Nous attendent, thé et biscuits
Ainsi que quelques causeries. »

Déambulant par les couloirs extérieurs des immenses jardins intérieurs de Hasuzurui kyuuden, longeant les murs de bois et de pierre que Kakuya aimait à glisser de ses doigts en dessous de ses larges manches, longeant les surfaces. D’un regard bref vers une des suivantes, celle-ci disparut. Le temps d’entrer dans une pièce et d’en installer ses effets et petit mobilier de confort, une autre femme fit son apparition, avec le nécessaire à thé et de l’eau déjà brulante, ne pouvant faire chauffer le liquide translucide en la présence de la Dame.

Une fois servies, la Dame s’empressa de coller ses mains contre la tasse, lui réchauffant légèrement la peau. Un instant plus tard, elle en buvait quelques gorgées. Maintenant seules, la Dame semblait plus détendue et moins liée à la rigueur du protocole. Elle soupirait, presque de soulagement.

« Enfin seule… Ou au moins tranquille. Tu veux du thé ? Ca te réchauffera ! Alors du coup, tu as réussi à te faufiler comme il se doit ? Je dois m’inquiéter de la sécurité de mon château ? » fit elle d’un air suspicieux. « Le chemin n’était pas trop long ? Tu viens uniquement me voir où tu as autre chose à faire en Renge-ryo ? Tu restes combien de temps ? Ca fait longtemps ! Dit moi tout. »

J’VAIS RÉCHAUFFER TON SOURIRE !

L’enfant des Cerisiers soupira de soulagement. Takeshi allait bien, alors. C’est qu’il n’était plus tout jeune, le vieux ! Gemmei réalisait qu’un jour, lorsqu’elle reviendrait en catimini dans les jardins de sa cousine, le vieillard aura disparu pour toujours. Cela créa un sentiment étrange dans sa poitrine ; la sensation de louper quelque chose. Néanmoins, la bushi rose n’était pas du genre à s’enfermer dans les pensées négatives. Elle passa rapidement à autre chose, reportant son attention sur sa douce amie, insistant pour savoir si elle allait bien. L’adoptée Takegi savait pertinemment que si Kaguya avait évité de répondre, c’était pour ne pas l’inquiéter ; cela provoquait l’effet inverse. L’oeil rond, le sourcil légèrement froncé, Gemmei semblait dans l’attente anxieuse d’une mauvaise nouvelle.

« Oh, ok ! » souffla-t-elle avec un air soulagé. Les réponses vagues de son interlocutrice avaient suffit à son esprit simplet. « Ménage-toi, hein. »

Gemmei acquiesça énergiquement avant de se lever d’un seul bond. Elle était ravie et il était difficile de ne pas le voir tant elle irradiait de bonheur. La Samurai était on ne pouvait plus excitée à l’idée de partager quelques moments avec sa cousine adorée. Cette joie lui avait fait oublier qu’elle portait des chaussures ; c’était reparti pour des « oh » et « merde » baragouinés tandis que la Sakura retirait ses savates. Elle dénoua ses suneate et enleva ses chaussons en fourrure. Gemmei frissonna ; le plancher était gelé malgré ses chaussettes !
Son chahut terminé, la bushi tint ses affaires contre son torse, le visage interdit. Un sourire contrit étira ses traits idiots alors qu’elle croisa le regard de la Dame Renge. Elle la suivit ensuite, caressant du regard les murs familiers. Gemmei sourit en remarquant Kaguya frôler la pierre tout en marchant. Les deux femmes arrivèrent dans une pièce dans laquelle s’étaient agitées des servantes devenues invisibles. À l’opposée de sa cousine à l’étiquette exemplaire, la Sakura se laissa tomber sur les tatamis et s’assit en tailleur, main droite posée sur son genou, coude relevé, et l’autre attrapant sa cheville. Elle observa la petite demoiselle venir servir le thé. Eeeeeeh pensa-t-elle, si jeune. Elle ne l’avait jamais vue.
L’adoptée Takegi reporta son attention sur la Dame. Elle ricana en l’écoutant poser toutes ses questions, ayant pour première réponse un immense sourire candide.

« Trop d’questions, Yucchan, trop d’questions ! » dit-elle en rigolant.

La bushi rose n’avait pas réussi à tout suivre ; elle utilisa ses doigts et sembla compter quelque chose, tentant d’enregistrer chaque chose qui lui avait été demandée. Elle reprit ensuite sa position initiale, son bazar retentissant d’un bruit sourd entre ses jambes.

« Merci pour le thé. » dit-elle afin de répondre à la première interrogation.

D’un geste exagéré elle s’inclina très bas ; sa pitrerie exprimait une révérence extrême. Comme si le thé offert par Dame Kaguya devenait une dette inestimable. À l’accoutumée, Gemmei ne tint pas la plaisanterie très longtemps et s’esclaffa en attrapant sa tasse d’une main. Elle resta ainsi quelques secondes, perdant son regard dans la vapeur qui s’échappait de son contenant.

« T’inquiètes pour ta forteresse, personne à part nous trois ne connaît les passages secrets que j’utilise. » La troisième personne étant le frère de son interlocutrice. « Le chemin était long, comme d’hab’. Le plus dur c’est de grimper les montagnes en c’te saison. » Elle leva la tasse vers ses lèvres. « J’vais rester deux, trois jours. J’aime pas trop traîner, on sait jamais. Y’a des mecs ils ont des intuitions de bât… de fous furieux. » Elle leva ses yeux sur Kaguya. « Quoi d’neuf dans l’pays du lotus, sinon ? »

Gemmei but une gorgée, grimaça en sentant le liquide brûler sa trachée et reposa son thé. Soudain elle fronça les sourcils, amena sa main face à elle, et commença à les recompter silencieusement ; si ce n’était le mouvement de ses lèvres muettes prononcer des mots inaudibles. Un éclair d’illumination traversa son visage alors qu’elle touchait son majeur pour la seconde fois.

« Ha ! Et j’viens uniquement te voir, pardon ! »

Elle ricana nerveusement en se frottant la nuque.

« Parle-moi un peu d’toi avant que je discute d’ma vie sans m’arrêter. »

Pas certaine d’avoir convaincue sa cousine de ses piteux mensonges, les deux cousines passaient sur d’autres sujets alors que Gemmei tentait de répondre à chacune des questions que la Dame avait assénées. « Nous trois… ? » s’interrogeait-elle, avant de faire une grimace visible. « Ah oui… lui . » continuait-elle dans sa caricature. « Cela fait bien longtemps que je n’ai pas pris ce chemin, j’aurai peur de me perdre maintenant… sans compter de chuter maladroitement. Je n’ai plus l’habitude, ni l’agilité d’antan. » disait-elle, le sourire un peu gêné. Kaguya regardait sa cousine avec grande amitié, l’envie de retrouver l’innocence infantile et les farces idiotes portant son corps et son cœur.

Réfléchissant un instant, elle tentait de répondre brièvement et sans trop dévoiler de secrets qui pourrait menacer le pouvoir si sa cousine s'averrait avoir une langue trop pendue, sous l'effet de l'alcool. « Hmm… Pas grand-chose, quelques grands travaux sont prévus ici et là… Et je crois que Nishio Minori -tu sais, la personne qui occupe le poste de Sekke ?- trame quelque chose, je pense la convoquer bientôt. J’ai un peu peur car… On était ami-e-s, avant. Sinon pas grand-chose, j’évite autant qu’avant l’autre là… Et un peu mon père aussi, pas pour les mêmes raisons, cela dit : systématiquement en train de me proposer mariage-là, alliance ici… Parfois je suis presque contente d’être malade, j’arrive toujours à m’en échapper grâce à ça. Tu n’as pas ce genre de problème, toi non ?... D’ailleurs » Kaguya s’approcha du visage de sa cousine, d’un regard bordé de sous-entendus « Les prétendants sont intéressants par chez toi ? Quelqu’un t’a tapé dans l’œil ? » elle souriait un peu plus qu’à l’accoutumée, le sourire plissé plus d’un coté, le visage en biais et le regard interrogateur mélangé à la malice.

Plutôt que de parler de sa propre personne, la Dame Renge pris un coffret, posé sur la petite table, près du plateau à thé. « Tu veux des dangos ? On m’en apporte toujours avec le thé ! Tu te rappelles, on en mangeait par centaines quand on était petites ! Oh, et la chanson qu’on chantait… ? Ou c’était juste moi ? C’était comment déjà…. » Elle réfléchissait, le temps d’ouvrir la boite de petites brochettes piquant des petites boules de pate de riz fourrées.

Eclaircissant sa voix, elle chanta alors, sans trop de timidité, espérant que sa cousine l’accompagne, après quelques vers :

« Dango dango dango dango dango daikazoku
Dango Dango Dango Dango Dango, la grande famille dango
Yancha na yaki dango yasashii an dango
Le Dango grincheux, la gentille dango
Minna minna awasete hyaku nin Kazoku…
Toute réunis elles forment une famille de cent Dango
Akachan dango ha itsumo shiawase no naka de
Le bébé dango est toujours entouré de bonheur
Toshiyori dango ha me wo hosometeru
Les dangos agés sourient doucement »

Le temps de reprendre son souffle, elle mordait dans l’un des dangos colorés, regardant avec candeur son amie et cousine en face d’elle. « Je ne me souviens plus du reste. Hé-hé. » s’excusait-elle en se grattant la joue.

J’VAIS RÉCHAUFFER TON SOURIRE !

Tap, tap. Le tapement de l’index de Gemmei sur sa tasse trop chaude pour elle comblait les silences. Elle laissait sa cousine réfléchir avant de reprendre la parole ; suffisamment vite pour que la bushi rose ne perde pas le fil. Elle avait demandé des nouvelles du clan qui l’avait vu naître mais, en réalité, l’adoptée Takegi ne comprenait pas suffisamment les buts et enjeux pour vraiment s’y intéresser. C’était un véritable effort de sa part néanmoins, désireuse de comprendre et soutenir Kaguya. Elle acquiesça tout d’abord, reconnaissant le nom de Nishio Minori. Elle hocha la tête ensuite, voulant approuver malgré un air perplexe. Elle abandonna d’opiner du chef finalement, plissant des yeux presque en se renfrognant. Elle grommela. Ce n’était bien sûr pas contre son amie, mais les soucis qui l’assaillaient.

« Le mariage, hein... » marmonna-t-elle. Ayant davantage l’air d’une maman poule en cet instant, elle ajouta : « Qui est assez digne de ma petite Yuuchan ?... »

Petite néanmoins plus vieille qu’elle. Avachie sur elle-même, Gemmei grommela entre ses dents une sagesse qui lui était rare ; pourtant, l’école de la vie lui avait appris bien des leçons utiles :

« Y’a des fois des buts et des rêves qui d’mandent à sacrifier l’amitié d’une personne pour garantir la prospérité d’une dizaine d’autres... » Elle sourit soudain, ne souhaitant alourdir l’atmosphère. « M’enfin, p’t’être pas pour ton gars, là. Tu verras bien ! »

Elle ricana en attrapant sa tasse. Elle aligna la paume de ses mains autour d’abord et tapota la céramique pour en évaluer la température. Enfin elle saisit le thé pour en boire une gorgée. Tout juste l’avait-elle porté à ses lèvres que Kaguya lui posa une question déroutante ; la Samurai associa immédiatement le terme « prétendant » à un visage. Elle manqua de tout recracher mais tint bon, les joues aussi gonflées qu’elles étaient roses. Le liquide lui brûlait la langue. Gemmei tenta de se hâter d’avaler sa souffrance. La chaleur l’empêcha cependant de garder la bouche fermée plus longtemps, aussi l’ouvrit-elle un peu trop tôt. Du thé s’échappa par-delà ses lèvres, langue pendue et bien sûr, un air dépourvu d’intelligence sur le visage.

« N-Non, non... » mentit-elle avant de toussoter. Elle eut la bienséance de passer le revers de sa main contre sa bouche avant de ne pas éparpiller davantage de thé. « Y’a p’t’être des gens intéressants hein, j’dis pas... » Elle continua de s’essuyer en utilisant ses bras. « Mais j’sais pas. »

Elle conclua par un énorme rire tentant de cacher sa gêne, une main derrière le crâne grattant nerveusement son cuir chevelu. Les dangos furent une distraction bienvenue. L’enthousiasme dont fit preuve Gemmei la rendait davantage suspecte ; elle était si facile à lire.

« Ha-aaaa, ouais, des dangos ! Merci ! »

Elle en attrapa aussitôt une brochette. Elle les dévorait d’un seul coup avec une technique terriblement efficace. Une véritable experte. Kaguya vint à chanter et l’adoptée Takegi sourit bêtement, ravie. Elle se fit petite, simple spectatrice d’un événement bienheureux. Elle ricana, doucement pour une fois, afin de ne pas interrompre la jolie voix de sa cousine.

« Mmmh... » commença-t-elle. « C’tait pas un truc comme “nakayoshi dango te wo”, euh… “tsunagi ookina marui wa ni”... » Elle s’interrompit une fois de plus. « Naru yo ?... »

Cela avait été à peine chanté. À dire vrai, cela se rapprochait davantage d’un chant d’ivrogne à moitié parlé, bien que la Samurai était encore sobre.

« C’est vrai qu’on la rabâchait beaucoup. J’aime toujours t’entendre la chanter. » Elle attrapa un autre dango qu’elle fit tournoyer vers sa tête en souriant. « J’suis pas sûre qu’mes grimaces te fassent autant rire qu’autrefois, c’la dit ! »

Elle avait regardé sa cousine tout du long du chant et avait souri alors que celle-ci semblait avoir apprécié la prestation loin d’être préparée et probablement perfectible. Elle regrettait que celle n’ait pas participé vraiment à son chant mais comprenait, quand bien même elle lui donna les suites de la chanson chantée. « Ah oui, ça doit être ça ! » tout en ne complétant pas son chant, laissant les notes s’éteindre dans l’air, laissant le silence de la matinée reprendre toute sa force.

« Personne d’assez digne pour moi, j’imagine…. ? » s’interrogeait-elle, faussement. C’était tout l’inverse, pensait-elle : qui voudrait d’une d’un corps malade en guise d’épouse ? « De toute façon… pas certaine de pouvoir enfanter donc… » avouait-elle un peu gênée. Kaguya s’amusait de la réaction de cousine, embarrassée de sa question sur les romances. « Je vois que c’est assez pauvre en eau de rose des deux côtés du continent chez les Hasuzurui. » soupirait-elle, déçue de rien avoir à écouter d’émoustillant ou de quoi rire. « J’aurais cru qu’avec ta facilité à discuter avec les gens tu aurais de quoi raconter quelque chose… Une histoire d’amour… drôle ou tout le contraire, un conflit trépidant, une rage intense ! J’imagine que tu as pu jouer de l’épée plus d’une fois non ? » essayait-elle de faire la conversation.

Profitant du confort environnant et de la légèreté de la conversation, la Dame s’avachit en partie sur le sol, quelques coussins la séparant du parquet sombre de la pièce. Les bras étendus, le regard dans le vide, elle jetait un regard sur sa cousine. « Ma vie, en dehors de ma responsabilité d’administratrice ne s’étend pas à grand-chose de plus. J’aimerais pouvoir vivre de grandes histoires mais… ni mon corps ni mon poste ne me le permettraient. Vis une vie trépidante pour moi, hein ? » lâchait-elle, avec le sourire mélancolique, tendant une de ses mains dans la direction de Gemmei, l’auriculaire levé, réclamant une promesse à tenir. « Promets-moi de vivre aussi librement que possible, d’aimer autant que tu le peux et… de venir tout me raconter ensuite ! » souriait-elle plus gaiement ensuite. « Ah et… de toujours me faire les mêmes grimaces que quand on était petites : même si ça ne me fait plus autant rire qu’autrefois. Ça me rend heureuse, ça me suffit. »

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Gemmei regretta de ne pas avoir poussé la chansonnette avec sa cousine. Elle avait tut son chant, laissant le silence s’installer quelques instants. La voix de Kaguya, humant les paroles de leur enfance, manquait déjà à la Sakura. Néanmoins, l’adoptée Takegi n’était pas du genre à se déprimer pour un rien. Une brochette de dangos coincée entre ses dents, l’amertume s’en alla aussitôt. Gemmei dévora les malheureuses boulettes de bon cœur. Elle resta pensive un instant en dévisageant le visage gêné de son interlocutrice.

« Pas enfanter... » répéta-t-elle la bouche pleine avant de tout avaler goulument. « Dommage, j’aurais bien voulu plein de petites Yucchan ! » avoua-t-elle avec un sourire jusqu’aux oreilles. « M’enfin, la noblesse ça adopte souvent alors j’pense pas que tu devrais t’faire d’la bile avec ça. Enfin, j’veux dire, niveau mariage, parce que si c’est ce que tu veux… Enfin... »

Au fur et à mesure que la Sakura s’embourbait dans ses paroles maladroites elle baissait également la tête et écarquiller son œil unique. Elle n’était vraiment pas forte pour remonter le moral ou dire ce que les autres attendaient d’elle malgré toutes ses bonnes intentions. Son propre cafouillage et ses mimiques furent une distraction bienvenue, bien qu’un peu désagréable puisque le thé qu’elle avait recraché était également sorti par son nez. Elle renifla grossièrement puis ricana.

« Bah euh, des histoires d’amour j’peux t’en raconter mais pas les miennes… Même si c’est plus souvent des histoires de fesses, faut bien avouer. J’en entends des tas sur les routes ! » Elle s’esclaffa alors que Kaguya semblait l’imaginer comme un héros défaisant le mal. « Ma vie est pas si passionnante que tu l’imagines, t’sais ! Des conflict trépidants, hein… J’sais pas trop. » Elle leva les yeux vers le plafond, réfléchie. « Les brigands, ça compte ? C’pas très excitant mais c’est à peu près tout... »

La bushi rose descendit son regard pour le poser sur une Dame avachie. Elle sourit avec tendresse en contemplant ce spectacle. Gemmei pencha la tête en écoutant les plaintes de sa cousine, avec toute la patience et toute l’affection du monde.

« J’vais faire au mieux, alors. »

D’un geste lent, Gemmei se pencha doucement par-dessus la table pour approcher sa main de celle de Kaguya. Elle tendit son auriculaire et saisit le sien.

« Promis. »

Elle pouffa, balança le petit doigt de son amie puis le lâcha. Le sourire de la Sakura était un soleil d’insouciance. Elle se brimbala d’avant en arrière, en tailleur et les mains sur les genoux, comme une enfant. Quand tout à coup, elle attrapa ses pommettes entre ses pouces et index, ouvrit grand son œil et loucha, un étrange sourire étiré dans une grimace des plus affreuses. Elle lâcha tout en ouvrant les paumes de ses mains, le rouge aux joues.

« J’serai presque gênée, aaaaah ! » avoua-t-elle en se frottant la nuque. « AH ! » s’écria-t-elle. « En parlant de gêne, commença-t-elle en posant un coude sur la table, j’ai vécu un truc trépa… trépidant ! »

Gemmei glissa ses fesses en avant pour s’approcher de la table, le dos courbé. Elle avait l’air de vouloir faire une confidence, quand bien même son aveu n’avait rien d’un terrible secret :

« J’ai été dans un onsen avec un baku ! T’sais les bestioles qui mangent les rêves, là ! » Elle se pencha un peu plus. « Il était tout nu ! » Quoi de plus normal dans des sources thermales ? « Il était tout formé comme un homme, les oreilles toutes douces en plus ! C’est fou, non ? » Elle se redressa tout d’un coup en rigolant. « Yaaa, le p’tit vieux voulait pas que j’sois dans l’bain des hommes mais ça valait l’coup ! »

« Tiens. » Voyant sa cousine éprouver des difficultés avec son thé, elle prit un mouchoir qui se trouvait dans l’une de ses manches pour tendre celui-ci à Gemmei. Celui-ci était blanc et un lotus unique était brodé en mauve sur l’une des faces. Elle eut hésité à éponger son visage elle-même, voyant quelques gouttes sortir de ses narines. « Tu pourras le garder » ajouta la Dame, au cas où lui viendrait à l’idée de se moucher. Habituée à ses frasques et ses infractions à l’étiquette, un tel acte lui serait presque naturel.

« Je ne sais pas… L’amour, j’aimerais beaucoup, oui ! Mais non, le mariage ne m’intéresse pas, en tant que contrat politique en tout cas. Mais je suis à peu près convaincue qui j’y serais de toute façon fortement invitée. Un noble fortuné ou un membre de la Cour impériale serait idéal, mais ceux-là ne m’intéressent pas : ils manquent tous d’authenticité et de spontanéité, tu sais ? J’ai l’impression de toujours parler religion et sermon avec eux : à croire qu’ils me prennent pour Isao. » pestait-elle pour continuer ensuite « J’en suis presque vexée, à chaque fois ! Isao ! Tu l’as rencontré ? Un petit morveux avec un comportement de vielle aigrie ! Attend… Tu sais ce que tu dirais de lui ? C’est quoi ton expression déjà ? Qu’il pète plus haut que son … ? » Elle grimaçait sans véritablement réfléchir à l'idiotisme, hésitant un instant pour savoir qui était le pire entre son frère et le Jokai, dont elle serait forcée un jour de supporter.

Elle soupirait. « Des histoires grivoises hmm ? Pas certaine d’en avoir déjà entendue. Mais j’imagine que si tu n’as que ça dans tes bagages, je peux bien m’y intéresser. Des combats contre des brigands aussi ! Ici on me raconte que des affaires économiques et politiques, alors bon, question péripéties c’est très pauvre. »

Elle riait un peu, sans s’esclaffer : peut-être en effet un tel spectacle aurait été plus drôle si le public composé seulement d'une unique personne avait été âgé d’au moins vingt ans de moins. La grimace aurait-été plus drôle sur un visage d'enfant aussi... Moins meurtri, peut-être également. Elle avait promis d’essayer, c’était tout. Mais sa présence suffisait à réchauffer son cœur esseulé. Elle voulait qu’elle soit la plus souvent, à ses côtés. Que ce soit pour raconter toujours les mêmes histoires ou s’en créer de nouvelles, Gemmei était l’escapade qu’elle ne pouvait plus faire. Elle était sa porte de sortie vers un monde de liberté qu’on lui avait délicatement retiré, les années passant.

Ses yeux étaient écarquillés. Si sa cousine avait le chic de toujours vivre des moments fous, celui-ci devait certainement faire partie de ceux-là. «Yare yare.. Qu’est-ce que tu faisais dans le bain des hommes ? Tu avais un peu bu c’est ça ? Et alors du coup, qu’est-ce qu’il l’a fait ? Te connaissant je suis certaine que tu as réussis à devenir amie avec ! »